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WINTER SLEEP de Nuri Bilge Ceylan (3/3)

Nuri Bilge Ceylan ressent le besoin de s’immiscer pleinement dans toutes les phases de production de ses films. Il n’en est pas seulement le co-scénariste et le metteur en scène. Il monte lui-même ses films et s’occupe de l’étalonnage.

Il ne filme plus en 35 mm depuis longtemps, ses quatre derniers longs métrages ayant été réalisés en numérique. Il parle avec passion de son choix pour la caméra Cine Alta F65 (Sony) qu’il a méticuleusement choisi pour « Winter Sleep » : « Pour un réalisateur, un des éléments les plus importants esthétiquement parlant est la profondeur de champ. C’est plus important que la résolution. Or la F35 et la F65 ont une puce qui équivaut au Super 35, ce qui vous donne la possibilité de contrôler la profondeur de champ à votre gré.

La résolution, les couleurs naturelles et, en particulier les tons de chair, ont vraiment fait pencher la balance en faveur de la F65 », explique-t-il. Le numérique lui permet aujourd’hui de retravailler avec acharnement le moindre éclairage. Il peut intensifier ou enténébrer sa palette chromatique, exacerber ou affaiblir la luminosité, accentuer ou pas un effet, une sensation, un trouble.

Nuri Bilge Ceylan rythme son film en alternant de longs et intenses échanges avec des scènes extérieures qui sont comme des bouffées d’oxygène galvanisantes (la séquence des chevaux sauvages est superbe) et contemplatives.

Deux grandes séquences traduisent les ressentiments intrinsèques de chacune des deux femmes entourant Aydin. Lorsque le cinéaste filme l’affrontement entre Necla et son frère, les masques s’effritent, les langues se délient et s’affranchissent des rancoeurs jusqu’alors enfouies. Il en est de même pour la grande discussion entre Nihal et son mari. A l’image, chaque personnage paraît isolé, capté de manière frontale. Nuri Bilge Ceylan les filme en champ/contrechamp, avec une seule caméra (mais de nombreuses prises !). Les plans sont plongés dans une pénombre engloutissante d’où les visages tentent de s’extraire, grâce à une lumière magnifiquement travaillée par Nuri Bilge Ceylan (qui rappelons-le est photographe de formation) et Gokhan Tiryaki, son directeur de la photographie.

Le cinéaste travaille toujours à l’instinct et prend la décision de placer sa caméra à un endroit précis seulement lors du tournage. L’installation des sources lumineuses en découle. C’est ainsi qu’il s’appuie sur l’ombre et la lumière, qu’il perce l’obscurité en magnifiant les lueurs des visages afin que les âmes se révèlent, sans tricherie : « Au cœur de mon travail il y a le désir d’approcher l’homme jusque dans ses zones d’ombre, afin d’essayer de faire apparaître la nature humaine dans toute sa vérité », confie-t-il à Positif.

Le cinéaste a voulu tourner longuement en studio, ce qui n’est pas dans ses habitudes. Cela afin de mieux maîtriser l’éclairage et de disposer des sources lumineuses avec une plus grande précision. Il tourna près d’un mois et demi en studio, et deux mois en extérieurs.

La photographie est délicatement travaillée, les couleurs y sont somptueuses et finement associées. Les paysages sont harmonieux, la gamme chromatique relevant d’une maîtrise exceptionnelle du cinéaste et de son expression artistique. Grâce à une alliance de gris, de noir, de blanc et d’ocre , grâce aussi à un éclairage très recherché, l’esthétique est raffinée, servant admirablement le propos du film.

Date de sortie : 06 août 2014 - Réalisé par : Nuri Bilge Ceylan - Avec : Haluk BILGINER, Melisa Sozen, Demet AKBAG - Durée : 3h16min - Pays de production : Turquie - Année de production : 2014 - Titre original : Kis uykusu - Distributeur : Memento Distribution