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regard, n. m. (v. 1120). Fig, : Action de considérer un objet par l'attention, par l'esprit.

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Le Paris de la modernité (1905 – 1925) Du 14 novembre 2023 au 14 avril 2024

 

Le Petit Palais présente une exposition foisonnante où vous pourrez déambuler à travers les arts, l’histoire, la technologie et l’industrie des années fastueuses 1905 – 1925, pour vous imprégner de cette époque en perpétuel mouvement, imbibée de créations et d’innovations révolutionnaires.

L’exposition se déroule de manière chronologique, mais aussi thématique, et cela en traversant trois périodes : la Belle Epoque (1905 – 1914), la Première Guerre Mondiale (1914 – 1918) et les Années Folles (1919 – 1925). Elle débute par le célèbre « Salon d’automne » de 1905 au Grand Palais, qui marque la naissance du fauvisme (Matisse, Vlaminck, Derain…) et le scandale que ces toiles provoquèrent. La couleur explosive et libérée des fauves inspira une profonde liberté qui choqua. Et c’est cet évènement que la Commissaire d’exposition a choisi pour débuter cette immense balade de création et découverte, pour l’achever en 1925 avec L’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes.

La Grande Guerre tient de surcroît une place importante dans cette exposition, fait rare et passionnant qui permet de ressentir l’atmosphère terrifiante que cette guerre engendra dans ce Paris plongé dans le tumulte et l’effroi, et la manière dont les artistes réagirent.

Ainsi, le désir d’aborder de multiples domaines transparaît avec une curiosité débordante : s’entremêlent la peinture, la sculpture, le théâtre, la danse, la musique, la mode, la littérature, le cinéma, la photographie, les innovations mécaniques et techniques, les arts décoratifs. Il est étonnant de se plonger dans cette époque exubérante et faste, où Paris était une capitale cosmopolite, créative, ouverte et moderne. Plus de 400 pièces jonchent ce parcours que nous ne nous lassons pas de découvrir. Et c’est dans un quartier cher à cette période, Les Champs-Elysées, que le Petit Palais propose cette exposition. Car c’est ici que les nombreux Salons ouvraient leurs portes, qu’ils soient artistiques (comme le Salon d’automne) ou techniques et industriels (avec le développement des cycles, aéroplanes ou automobiles). C’est encore là que l’éclosion de nouvelles galeries d’art permirent à certains artistes d’obtenir des contrats. La mode, quant à elle, vit le célèbre couturier Paul Poiret s’y installer. Et le Théâtre des Champs-Elysées, de style Art Déco, y ouvrit ses portes en avril 1913. Les Ballets russes y furent alors mis à l’honneur avec l’androgyne Nijinsky dans « Le Sacre du Printemps ». Mais outre ce quartier central qui mit en valeur ces créations de génie, l’exposition distingue les fameuses Cités d’artistes où nombre d’inoubliables peintres, sculpteurs, écrivains ou poètes, partagèrent leur talent, leur esprit, leur liberté, leur ouverture et leur solidarité. Du côté de Montmartre d’abord, avec entre autres Le Bateau Lavoir, où Picasso et ses acolytes révolutionnèrent l’art, l’esthétisme, l’écriture … Au « Lapin Agile » aussi, ce célèbre cabaret où tous se retrouvaient. Montmartre vit passer Max Jacob, Marie Laurencin, Brancusi, Modigliani, Kees Van Dongen… tous ces avant-gardistes qui chamboulèrent ce début de siècle. Puis ils changèrent de quartier, pour s’installer à Montparnasse où beaucoup d’artistes étrangers se lièrent à eux. « La Cité Falguière » ou « La Ruche » grouillaient d’artistes cosmopolites, novateurs, où le partage et l’entraide faisaient loi, car nombre d’entre eux vivaient dans une grande précarité. Marie Vassilieff y créa aussi l’Académie Vassilieff où lettrés et artistes russes se croisaient. Montparnasse regorgea alors d’illustres personnages : Zadkine, Apollinaire, Chagall, Erik Satie, Fernand Léger, Blaise Cendrars, Diego Rivera…

Les premières salles de l’exposition, qui retracent la Belle Epoque de 1905 à 1914, mettent en exergue tous ces artistes, toutes disciplines comprises, la danse et la musique s’émancipant aussi des codes préétablis, ainsi que les Salons, centrés sur la création artistique mais aussi sur l’innovation technique. Un magnifique aéroplane de 1911, une voiture Peugeot type BP1 et une bicyclette pliable y ravissent le public.

Mais le 3 août 1914, c’est le choc : l’Allemagne déclare la guerre à la France. L’allégresse et l’exultation créative laissent place à l’engagement, au combat. Des artistes vont se porter volontaire pour aller sur le front (comme Blaise Cendrars ou Apollinaire) et se retrouver au milieu de l’effroi des tranchées, d’autres vont y être recrutés comme peintres aux armées, parcourant les zones de guerre pour y faire des croquis. Ce fut le cas des Nabis par exemple, avec Félix Valloton ou encore Pierre Bonnard… Il y eut aussi les réformés (comme Modigliani), et ceux qui quittèrent le territoire. L’exposition met en avant l’engagement de tous ces citoyens de la liberté. Même si la guerre a d’abord anéanti la ferveur des artistes, Paris va peu à peu reprendre de sa verve à travers une identité culturelle forte qui, dès la fin de l’année 1915, s’affirme de nouveau. Sans jamais oublier les tourments et l’épouvante de ce que vit le pays. Certaines expos glorifient l’enthousiasme patriotique, d’autres accusent l’ennemi allemand de ravager le patrimoine national, avec par exemple « L’exposition d’œuvres d’art mutilées ». Certains artistes blessés reviennent à Paris, comme Georges Braque, Blaise Cendrars ou encore Guillaume Apollinaire. Face à la désolation, la violence et la mort, un élan de vie rejaillit à travers l’art, et de nombreux artistes et intellectuels créent de nouveau au sein de la capitale bombardée. La solidarité est de mise, la débrouille nécessaire, et la vie culturelle reprend vigueur. L’opéra ouvre de nouveau ses portes, tout comme les théâtres. La créativité bat de nouveau son plein. En 1917, au Théâtre du Chatelet, le célèbre ballet « Parade », écrit par Jean Cocteau et composé par Erik Satie, surprend en incorporant des bruits de machine à écrire, de sirènes, de bouteilles. La chorégraphie est de Leonide Massine et la scénographie de Pablo Picasso. La même année, dans la galerie avant-gardiste Berthe Weill, Amedeo Modigliani présente des nus avec des poils qui feront scandale.

Le monde artistique fait donc parler de lui avec talent et fracas, ce qui crée bien évidemment un vaste contraste entre cette énergie créative et la réalité des tranchées.

Puis vient le troisième mouvement de l’exposition : l’allégresse de l’après-guerre. Un éclat de joie retentit sur Paris où toutes les libertés explosent, où les tabous tombent, où les excès en tout genre secouent cette société exaltée dont la légèreté, la bagatelle, la luxuriance et le tumultueux bouillonnement culturel sont les fers de lance. Le corps féminin se libère, soutenu par la mode. Les créations de Paul Poiret sont d’ailleurs bien présentes dans cette exposition. La musique jazzy fait fureur, la Revue nègre consacre le succès de la danseuse américaine Joséphine Baker (1925), les Ballets Suédois s’installent au Théâtre des Champs-Elysées (1920 à 25) où ils représentent une belle vitrine littéraire de cette époque inouïe (avec des livrets de Paul Claudel, Pirandello, F. Picabia, Cocteau…), sous la direction d’un chorégraphe novateur : Jean Börlin. Cette nouvelle manière de danser sera souvent incomprise, mais bouleversera la vision de l’art de la danse. Ces intenses bouleversements culturels, sociétaux et artistiques déterminent ces Années Folles où le besoin de vivre, à travers toutes formes de découvertes, d’excès et de liberté, témoigne d’un désir fulgurant de mettre derrière soi l’horreur de la Grande Guerre. Les mouvements surréaliste et dadaïste apporteront eux aussi de nouvelles formes d’expression, que ce soit à travers la peinture (Max Ernst, Dali), la poésie (André Breton, Aragon), la sculpture ou encore le cinéma (« Un chien andalou »). Ils suscitent la révolte, heurtent le bon sens et ainsi secouent l’ordre établi. Quant au cinéma, il séduit par sa recherche sur le mouvement et la vitesse. Sont aussi mis en exergue des romans qui percutent le monde littéraire, comme « Le diable au corps » de Raymond Radiguet ou « La garçonne » de Victor Margueritte. Et c’est la quintessence de l’« Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes » qui clôt ce long et palpitant chemin, célébration des arts décoratifs dans une exposition transversale où la capitale parisienne accueillit 21 nations (hormis les Etats-Unis et l’Allemagne). Cet évènement, dédié à la décoration et à l’architecture moderne, mit en valeur une pluralité de disciplines artistiques et industrielles.

 

La richesse et les bouleversements de ce premier quart de siècle nous tiennent en haleine tout au long de cette flânerie qui nous emporte dans sa démesure créative, humaine et sociétale. Paris et la modernité ne furent qu’un, et nous déambulons à travers sa mémoire avec un plaisir gourmand et rassasié.

 

Du 14 novembre 2023 au 14 avril 2024 au Petit Palais. 

 

Face au soleil. Un astre dans les arts

Vue du port havrais dans la brume de cette matinée du 13 novembre 1872. De la fenêtre de son hôtel Claude Monet peint un tableau qui restera emblématique dans l’Histoire de l’Art. Exposé en 1874, l’œuvre est à l’occasion baptisée « Impression soleil levant ». Le critique d’art Louis Leroy intitule alors son article « L’exposition des Impressionnistes ». Le terme restera et donnera son nom au célèbre mouvement artistique.

Le musée Marmottan a décidé de célébrer les 150 ans de ce tableau légendaire à travers une exposition qui sonde la représentation du soleil dans l’histoire des arts. Les deux commissaires Marianne Mathieu (du musée Marmottan) et Michael Philipp (du musée Barberini à Potsdam) ont sélectionné un florilège d’œuvres antérieures et ultérieures à « Impression soleil levant », pour créer un parcours à la fois chronologique et thématique de la perception de l’astre solaire dans la création et la vision artistique de l’Antiquité à nos jours.

Le soleil a animé les inspirations de nombreux artistes, chaque mouvement artistique proposant une vision personnelle de ce corps céleste si flamboyant, offrant une myriade de variations lumineuses. Une centaine d’œuvres sont exposées au regard de cinquante-trois illustres artistes, allant d’Albrecht Dürer à Pierre-Paul Rubens, de William Turner à Gustave Courbet, de Camille Pissaro à André Derain, d’Edvard Munch à Otto Dix, de Sonia Delaunay à Joan Miro …. Nous ne pouvons tous les citer. A travers une sélection de tableaux, de dessins, de photographies et d’instruments de mesure prêtés par l’observatoire de Paris, l’exposition nous éclaire sur les progrès scientifiques en matière d’astronomie afin de mettre en exergue l’impact qu’ils ont eu sur l’évolution picturale au niveau des ambiances climatiques et de la représentation du paysage. La symbolique de l’astre solaire se développe artistiquement suivant les perceptions religieuses et les recherches scientifiques. Dans l’Antiquité le soleil incarne la toute puissance d’une divinité à la beauté fascinante. Il influence les thèmes mythologiques et la notion de l’Astre Dieu, comme avec Apollon (dieu de la lumière solaire, appelé aussi Phoebos le brillant), Râ chez les égyptiens, etc… Il deviendra même l’emblème de Louis XIV, le Roi Soleil. Le souverain fondera d’ailleurs en 1667 l’Observatoire de Paris, haute instance des découvertes astronomiques en Europe. Le soleil apparaît alors comme un authentique sujet d’étude dont les scientifiques vont s’emparer. L’astronomie, la révolution copernicienne …. influencent le monde des arts. La peinture de paysage devient alors un genre incontournable, où la nature est dépeinte telle qu’on la voit, selon l’emplacement du soleil, qu’il se lève, domine le ciel ou se couche. Nous le percevons par exemple chez Rubens, Turner, Boudin et bien d’autres ; l’apogée de cette perception solaire s’incarnera dans « Impression soleil levant » de Claude Monet. Les néo-impressionnistes, eux, mettent ensuite en valeur des sensations esthétiques différentes, en ce sens qu’ils n’appliquent pas sur la toile ce qu’ils voient mais plutôt ce dont ils ont connaissance. Grâce au savoir scientifique sur la décomposition des teintes du spectre lumineux, des peintres comme Signac ou Seurat vont nous subjuguer par leurs représentations picturales audacieuses, par une libération de la couleur qui se tournera ensuite vers le fauvisme d’un Derain.

Nous continuons ainsi à déambuler au gré des mouvements picturaux, éblouis par la richesse de la pluralité des visions solaires. Du fauvisme nous abordons naturellement l’arrivée de l’expressionnisme, avec Munch ou Otto Dix. L’astre y prend de plus en plus possession de la toile. D’autres expérimentations se joignent alors à cette mouvance, plus abstraites, comme celles de Freundlich et Sonia Delaunay. Le disque solaire se révèle continuellement grâce au perfectionnement du matériel d’observation scientifique. L’astre solaire a de moins en moins de secrets pour l’homme. Et à partir des années 20, la théorie de la relativité générale d’Einstein nous fait prendre conscience que l’univers est en perpétuelle expansion. Le soleil n’est plus l’astre dominant. Il devient pour certains exempt de vanité puisqu’il n’est plus qu’une étoile parmi une multiplicité d’autres étoiles. Cette dilatation de l’espace est au centre des œuvres de Miro et Calder, relativisant l’héliocentrisme à travers les poétiques constellations ou les « stabiles ». Cependant l’image du soleil est préservée car l’astre est intrinsèquement vital. Il est la sève de notre existence ce qui le rend indispensable sur une terre où l’homme a conscience de ne pas se situer au centre de l’univers et d’en être qu’une poussière. Et c’est à partir de ce constat que Gérard Fromanger termine l’exposition avec son « Impression soleil levant 2019 ». L’artiste se base sur ces réflexions scientifiques pour « installer » son chevalet dans l’espace et proposer un point de vue inédit. Il explique d’ailleurs : « Le soleil levant, pour moi, c’est Youri Gagarine, Neil Armstrong, là-haut dans une station spatiale ou sur la lune. »

Le musée Marmottan nous invite ainsi à une exposition au rayonnement solaire inouï, qui met en valeur son éclat à travers l’évolution de la peinture de l’Antiquité à aujourd’hui. Une floraison d’œuvres d’art illumine ce parcours axé sur les multiples représentations esthétiques de cette fabuleuse étoile de la Voie Lactée, mises en résonance avec l’évolution des progrès scientifiques à travers le temps.

L’astre divin aura inspiré l’homme tout au long de son histoire. Il nous livre ici de somptueuses œuvres, témointes de son influence dans l’histoire des arts.   

Du 21 septembre 2022 au 29 janvier 2023 au Musée Marmottan Du 25 février 2023 au 11 juin 2023 au Musée Barberini à Potsdam

Oskar Kokoschka Un fauve à Vienne

Le Musée d’Art Moderne de Paris nous offre une rétrospective saisissante du turbulent artiste autrichien Oskar Kokoschka. Au cours d’un parcours chronologique, nous parcourons soixante-dix années de création, de chamboulements historiques et artistiques, de troubles politiques, de révolutions picturales.

Nous plongeons dans la grande histoire du XXème siècle, aux côtés de cet homme qui naquit en 1886 et tira sa révérence en 1980 à l’âge de 94 ans. Cent cinquante œuvres nous permettent de vibrer à travers ses peintures, ses lithographies, ses affiches, ses aquarelles, ses illustrations, ses éventails… Oskar Kokoschka était un homme engagé, peintre bien sûr mais aussi dramaturge, écrivain et poète. Aucun compromis esthétique n’était tolérable pour cet artiste qui dès son jeune âge scandalisa la société viennoise du début du XXème siècle à travers les portraits qu’il réalisait, ainsi qu’avec sa pièce de théâtre « Meurtrier, espoir des femmes ». En 1908, Oskar Kokoschka avait déjà l’appui de deux illustres personnalités viennoises : l’architecte Adolf Loos, et Gustav Klimt qui proclamait à cette époque : « A tout temps, son art ; à tout art, sa liberté », et qui prônait une démarche artistique novatrice sur la ligne et la couleur. Porté par le foisonnement des avant-gardes de son époque, Oskar Kokoschka maintiendra toujours une certaine indépendance artistique, aimant provoquer et secouer notre regard, avec sa manière tortueuse d’appréhender le corps humain, avec l’utilisation de couleurs éclatantes, d’aplats flamboyants. La libération des émotions, le refus de toute codification, chassent alors les conventions et redéfinissent le mouvement, les formes, l’irrégularité même. Grand portraitiste, il sait dévoiler les apparences trompeuses de ses modèles afin d’en extraire les sentiments les plus intimes, les plus profonds, captant l’essence même des personnes. Adolf Loos disait que son regard était « radiographique ».  

Grâce à ses mouvements de pinceaux fougueux, sa chroma fringante, ses traits incisifs, Oskar Kokoschka anime et donne vie à ses sujets. Comme l’a dit plus tard sa femme Olda Kokoschka : « Pour lui, un portrait cela signifiait briser la façade, la manière dont on se présentait. » (Radio France) Oskar Kokoschka lui-même disait qu’il voulait « exprimer la vie ». En 1964 le peintre écrira : « L’humain c’est un rayonnement, ce n’est pas la surface, l’uniformité dans le monde. Je ne peux peindre une ville que lorsqu’elle est organique, je pourrais voir l’être humain sous sa peau. Seul un peintre peut faire cela, c’est pourquoi je suis en rébellion permanente. » Nous discernons bien que cet artiste lutte avant tout pour une idée humaniste de l’être humain, pourfendant vigoureusement l’abstraction. D’ailleurs, dans les années 50, il s’opposera à la prépondérance de l’art abstrait qu’il rapprochera d’un phénomène déshumanisant qui assujettit les artistes à nier cette corrélation fondamentale entre la peinture et le changement perpétuel des choses lié aux sens et sensations de chacun. Oskar Kokoschka dirigera en ce sens l’Ecole du Regard (fondée en 1953) à Salzbourg, où il inculquera aux élèves qu’il faut avant tout regarder et observer notre environnement, le monde dans lequel nous vivons, pour capter l’air du temps et être en phase avec notre époque. Pour lui, il faut constamment se réinventer. Et c’est ce qu’il fit tout au long de sa vie.

Cette exposition nous permet de découvrir toutes les pérégrinations de cet homme ouvert à tous les possibles. Vienne est évidemment la première étape, où il insuffle déjà une grande liberté visuelle en révélant la part d’intime de ses modèles, en extériorisant l’acuité même des sentiments profonds de ces personnes. En 1912, il vit une passion tempétueuse avec la compositrice Alma Mahler qui se terminera en 1914. Cette rupture fracassante s’ensuit d’un engagement volontaire dans la Grande Guerre. Au front, il est très gravement blessé en 1915 (à la tête et aux poumons). Le retour à la vie nécessitera du temps, mais il s’en sort. C’est ensuite à l’Académie des Beaux-Arts de Dresde qu’il accepte d’enseigner, toujours à s’enquérir de nouvelles incarnations picturales, ne souffrant d’aucune compromission artistique. L’Europe va encore vivre des décennies enflammées. Lui aussi. Dans les années 20 il voyage beaucoup mais il finit par rentrer à Vienne où de graves tourments politiques émergent à l’aube des années 30. Il décide alors de quitter son pays natal pour Prague dès 1934. Le régime nazi le qualifiera d’artiste « dégénéré » et fera disparaître des musées allemands l’ensemble de ses œuvres. Ces peintures seront exposées à Munich en 1937 dans l’exposition nazie d’« art dégénéré », tout comme celles de Chagall, Otto Dix, ou encore Picasso. Tous ces artistes sont présentés comme « juifs » ou « bolcheviks » et le régime veut les rabaisser aux yeux du public. En réaction à cet évènement nauséabond, Oskar Kokoschka répliquera par un autoportrait intitulé « Artiste dégénéré ». La montée du fascisme le pousse à s’exiler en Grande-Bretagne en 1938 où il peint des tableaux allégoriques. Son engagement pour la liberté dans cette Europe embrasée est toujours à vif. La guerre terminée, Oskar Kokoschka représente alors une personnalité de référence importante au sein du monde intellectuel européen. Il désire prendre part à la reviviscence de la culture malgré les ravages et les tensions qui ont désuni ce continent. La soixantaine passée, il s’établira en Suisse romande, à Villeneuve, en 1951. Une fois de plus, son travail pictural est sans compromis, séditieux, s’affranchissant de toute influence esthétique.

Oskar Kokoschka ne se sera jamais laissé emprisonner dans le moindre mouvement pictural, ni laissé influencer dans ses choix personnels et esthétiques. Il restera avant tout un homme libre, parfois provocateur, et d’une indépendance sans faille. Comme le qualifiait la critique d’antan, il est « le plus sauvage d’entre tous » (« Oberwidling »). Ses œuvres en sont le fruit exquis. Elles vibrent et incarnent le vivant.

 

 

Du 23 septembre 2022 au 12 février 2023 au MAM de Paris

Du 17 mars 2023 au 3 septembre 2023 au Guggenheim Bilbao

Le Monde de Steve McCurry Au Musée Maillol

Le musée Maillol présente une séduisante rétrospective du photographe américain Steve McCurry. Près de 150 œuvres y sont exposées dans des tirages en grand format. Nous pouvons ainsi déambuler dans des espaces labyrinthiques, découvrant au gré de nos mouvements des images aux couleurs éclatantes.

La commissaire d’exposition Biba Giacchetti et Steve McCurry ont sélectionné ces photographies ensemble. Leur agencement n’est ni thématique, ni chronologique. Nous évoluons plutôt au sein d’un parcours qui ressemble à une exploration, à la découverte d’un univers saisissant où l’émotion est intense. Quarante années à bourlinguer dans le monde entier, d’Asie en Afrique, des Etats-Unis à l’Amérique du sud, l’Afghanistan tenant une place fondamentale dans le cœur de Steve McCurry. Et ce point commun qui surgit à chaque image : une humanité bouleversante. Ces photos nous touchent pour leur beauté, leur esthétisme, en contraste avec les circonstances intolérables qui surgissent quelquefois devant nos yeux, que ce soient la misère, la brutalité ou encore la guerre. Mais c’est avant tout l’humain vers lequel notre regard converge : il rayonne et reste au cœur de notre attention. Tous ces visages, sillonnés par les souffrances, les expériences de vie, l’adversité, sont le reflet du regard aiguisé de Steve McCurry qui décèle, discerne toute l’acuité des personnes qui croisent son chemin. Cette pénétration visuelle révèle un regard que l’on devine aimant, touché par ces populations que le photographe rencontre au gré de ses multiples voyages.

Toutes ces photographies sont exposées dans des salles au fond noir : « Le fond noir permet de mieux se focaliser sur l’image. On élimine tout le bruit visuel autour de la photo (…). De sorte que le regard puisse véritablement se concentrer sur les photos », nous explique Steve McCurry sur France Culture. De surcroît il n’y a pas de long texte explicatif qui accompagne ces images. Juste une date, une situation géographique et une brève légende puisque le photographe pense que « l’image doit pouvoir apporter sa propre histoire ». Nous pouvons cependant, si nous le désirons, prendre l’audioguide où Steve McCurry raconte des anecdotes concernant certaines photographies. Le bourlingueur définit son univers comme « un monde de curiosité : (…) voyager, découvrir de nouvelles cultures… répondre à mes impulsions créatrices en photographiant des gens, en faisant des portraits, en voyant comment les gens vivent, en saisissant le comportement humain. » (France Culture)

La grande aventure a véritablement commencé avec l’Afghanistan, qui restera un pays d’une importance fondamentale tout au long de ses pérégrinations. Le photographe, en 1979, rencontre des réfugiés afghans dans un bouge situé dans les montagnes du nord du Pakistan. Ils ont quitté leur pays après le coup d’état qui a permis à un gouvernement pro soviétique de s’établir. Cependant ils décident d’y retourner et persuadent Steve McCurry de les accompagner pour qu’enfin quelqu’un témoigne de la situation désespérée de leur histoire : « J’ai été choqué par l’état de dévastation du pays (…) c’était une région où vivaient des bergers, des nomades (…) qui se trouvaient attaqués par leur propre gouvernement parce qu’ils se révoltaient et parce qu’ils luttaient contre l’administration centrale (…) c’était un mouvement très populaire (…) je me suis retrouvé un peu accro à l’histoire afghane. » (France Culture) C’est ainsi que Steve McCurry se retrouve à photographier pour la première fois une zone de guerre. Ce seront les premières images inédites d’un conflit implacable. Ce témoignage visuel sera publié et reconnu comme fondamental. C’est le départ d’une nouvelle vie qui s’ouvre au photographe. Les reportages de guerre s’enchaîneront dans des pays ravagés et accablés. L’exposition débute sur les images en noir et blanc de cette première expérience afghane. Les pellicules noir et blanc étant moins onéreuses et leur développement plus aisé, Steve McCurry a naturellement opté pour cette option. Mais c’est la couleur qui dominera tout son cheminement artistique. Comme il aime à le répéter : « Le monde qui m’intéresse s’exprime en couleur. » C’est effectivement une déflagration de couleurs qui éclate et fuse avec impétuosité. La frénésie chromatique imprègne les images avec un foisonnement de nuances qui nous envahit dès la première seconde. D’autant plus que cette luxuriance tranche parfois distinctement avec le contexte géopolitique ou conflictuel dans lequel ces êtres bouleversants évoluent. La lumière côtoie parfois l’obscurité d’une tragédie car ce que désire Steve McCurry, c’est mettre en exergue l’humanité d’un être face à la terreur, à la violence d’une situation, à la misère, aux vicissitudes qui affectent l’existence humaine. Il se qualifie lui-même de « conteur visuel ». Ce qui prime lorsque nous regardons ses photos, c’est que la vie l’emporte. Les regards sont extraordinaires, percutants, sensibles, forts, dévastateurs… Et celui que nous connaissons tous est celui de cette jeune fille afghane, Sharbat Gula, prise en 1984 dans un camp de réfugiés afghans au Pakistan. La puissance extraordinaire de son regard est restée gravée dans nos mémoires. Il fait partie de cette exposition qui nous retrace l’empreinte de l’immense parcours du photographe entré à l’agence Magnum en 1986.

Steve McCurry travaille maintenant essentiellement dans l’univers des Beaux-Arts. A 71 ans, il reste un témoin essentiel de la condition humaine, « un poète qui s’exprime non pas avec les mots, mais en images. » (Steve McCurry, Polka)

 

 

Exposition en prolongation jusqu’au 31 juillet 2022

Musée Maillol, 59 – 61 rue de Grenelle, 75007 Paris

 

 

 

 

 

 

SARAH MOON « PASSÉ PRÉSENT » au Musée d’Art Moderne de Paris

Le Musée d’Art Moderne de Paris propose une exposition sur l’insolite chemin créatif de la photographe Sarah Moon. 
« Passé Présent » nous invite à déambuler au sein d’un parcours élaboré par l’artiste elle-même, où la photographie côtoie son travail cinématographique, où la mode se mélange avec une recherche personnelle énigmatique, où les sujets et les périodes s’entrecroisent, sans clivage.

Née en 1941, Marielle Sarah Warin fut, dans les années 60, mannequin. Mais elle aimait déjà s’adonner à la photographie. En 1967 le hasard fait alors rapidement basculer son destin. Le photographe J.R. Roustan étant souffrant, il conseille à sa rédaction de le remplacer par la jeune femme. Elle réalise au pied levé les clichés, et les signe avec un nouveau patronyme, qu’elle vient d’improviser : Sarah Moon. Elle débute alors une carrière de photographe de mode, et se distingue diligemment au travers de ses photos publicitaires, spécifiquement pour la célèbre marque Cacharel à qui elle insuffle une incarnation visuelle novatrice, feutrée et sibylline. Nous sommes dans les années 1970. Sarah Moon bouleverse ainsi les codes artistiques liés à l’univers de la publicité. « Vogue » lui a d’ailleurs déjà consacré un papier en 1969. Son regard, décalé, intrigue. L’artiste décide d’enrichir peu à peu son travail à une recherche plus intime où elle n’élabore plus exclusivement des images de commande. Suite à une blessure profonde provoquée par le décès en 1985 de son assistant Mike Yavel, elle va osciller entre la mode et ce qu’elle définit comme ses « instantanés ». Elle valse ainsi entre une activité de groupe, où élaboration et expérimentation se font à plusieurs voix, et un affranchissement total où priment l’inattendu et la sensation d’être absolument libre, vivant ces expériences de manière plus solitaire. C’est à ce moment qu’elle s’initie à un appareil jusqu’ici inexploré, le polaroïd Noir et Blanc, qui devient instantanément son indéfectible « complice », technicité d’expérimentation absolue, hasardeuse, ouvrant sur une esthétique profondément personnelle. Ces « instantanés » pris par l’artiste s’inscrivent alors dans une intemporalité saisissante, ne livrant que peu d’éléments qui puissent les situer dans le passé. Elle expérimente ce nouvel outil avec passion, laissant une place fondamentale aux sinuosités accidentelles, créant ainsi un esthétisme empreint de difformités techniques d’une facture insolite. Son travail est en ce sens avant-gardiste. Elle intègre dans sa recherche créative la matérialité même de l’« instantané », n’hésitant pas à le malmener par l’usage de grattage, de rayures, de « flous de bougé ». Elle use souvent de la solarisation, renforçant ainsi l’aliénation des repères spatio-temporels. De surcroît elle malmène la gélatine du négatif. Nous observons fréquemment des bordures esquintées ou extrêmement sombres. Sarah Moon explique ce résultat singulier : « Le bord frangé des négatifs vient des accidents au moment où on sépare les deux feuilles du Polaroïd, le négatif et le positif. Parfois, nous laissions passer une journée ou deux avant de décoller les feuilles, pour que ça amplifie les défauts. » (The Art Newspaper). Dans la même optique, ces mots de la photographe recueillis dans « Conversations autour de la couleur avec Ilona Suchitaky » sont conséquents : « J’aime que la photographie soit vulnérable, et c’est vrai que les traces qui sont sur le Polaroïd sont déjà des marques du temps et de la décomposition ; la menace en est déjà inscrite dans le cadre. » Sarah Moon revendique pleinement le caractère artisanal de ses œuvres, parfois malmenées afin d’en extraire les stigmates de l’expérimentation. Quant à la palette chromatique de ses photographies, elle est volontairement réduite. Le Noir inspire profondément l’artiste, et elle aime osciller entre les multiples nuances de gris, mettant en exergue des formes émergeant de la pénombre, sensations amplifiées par l’exclusion de la couleur blanche. 
Dans ses entretiens avec Magali Jauffret (Entretien avec Sarah Moon, Hambourg), ou encore avec Dominique Eddé (MAM), l’artiste explique ses aspirations : « Le Noir et Blanc est la couleur de l’inconscient, de la mémoire. Il s’agit d’ombre et de lumière. C’est de la fiction. C’est ce qui est le plus proche de moi, c’est là que je me retrouve. » (…) « L’ombre, on peut la voir, mais on ne peut pas l’atteindre. C’est de l’infini à notre portée. C’est comme l’horizon. » Nous comprenons mieux ce qui inspire la photographe, la valeur récurrente de son amour pour la sous-exposition, les ombres portées, la richesse de ses gris accentuant son travail sur les ombres. Tout cela intensifie l’impression d’impénétrabilité, refusant toute perception de clarté. Ce travail est souvent renforcé par l’utilisation de surimpressions, ou encore de miroirs, comme le mirolège, accentuant la notion de « cadre dans le cadre ». Nous sommes alors surpris, au gré de notre déambulation, lorsque nous nous retrouvons face à une photographie révélant une paradoxale pigmentation qui envahit une partie formelle de l’image. Le plus souvent empreinte d’une seule tonalité, d’une seule couleur… Encore une bizarrerie, une toquade, renforçant l’illisibilité immédiate de ces épreuves.
Toutes ces œuvres photographiques sont accompagnées de cinq films réalisés par Sarah Moon : « Circuss », « Le fil rouge », « Le petit Chaperon noir », « L’effraie » et « Où va le blanc… ». Ces films sont essentiellement composés d’épreuves photographiques de Sarah Moon qui fait déambuler sa caméra face à la fixité de ses images afin de leur donner vie, de les mettre en mouvement et créer une histoire. Les épreuves voyagent ainsi à travers une nouvelle création artistique pour en former une narration inédite. 
De surcroît, une autre salle du MAM s’harmonise avec cette exposition, puisqu’elle est consacrée au compagnon de Sarah Moon, Robert Delpire (1926 – 2017), qui fut un grand éditeur de photographie, un commissaire d’exposition, un publicitaire, et le créateur de la petite collection noire Photo Poche. 

Exposition au Musée d’Art Moderne de Paris
À partir du 18 septembre 2020 

Cézanne et les Maîtres Rêve d’Italie

Le musée Marmottan Monet présente actuellement une exposition consacrée à l’illustre peintre d’Aix-en-Provence, Paul Cézanne, dont la ligne directrice est orientée vers un dialogue avec les grands maîtres italiens du XVIème et du XVIIème siècle, ainsi que ceux du Novecento.

Une soixantaine de toiles sont ici réunies pour mettre en lumière l’influence de l’italianité dans la peinture cézanienne. Ce nouveau regard enrichit cette idée de « Rêve d’Italie », alors que l’Aixois n’a jamais mis un pied dans la péninsule italienne. Empreint d’un amour inconditionnel pour sa Provence natale, Cézanne a singulièrement révélé sa lumière, sa nature, en se nourrissant de ses aînés, mais toujours de manière novatrice, intrinsèquement imprégné de sa propre sensibilité et de sa vérité. 

Cézanne a donc découvert les maîtres italiens à travers les livres, les musées, les gravures. « Rêve d’Italie » ne s’inspire pas de documents où il aurait témoigné de son admiration pour ces chefs-d’œuvre. C’est au contraire un travail d’exploration des commissaires de l’exposition, disséquant les multiples tableaux référencés, et mettant en exergue les inspirations inhérentes à ces peintures. C’est en puisant émotionnellement chez les anciens que de nouvelles sensibilités, que de nouveaux bouleversements, tant plastiques que sensoriels, surgissent et donnent naissance à une entité artistique et créatrice. Cézanne confiait lui-même : « Peindre, ce n’est pas copier l’objet servilement, c’est saisir une harmonie entre de nombreuses relations. » En évoquant le musée du Louvre, l’Aixois le qualifiait de « livre dans lequel nous apprenons à lire ». Cependant il approfondissait : « le Louvre est un bon livre à consulter, mais il ne doit être qu’un intermédiaire. L’étude réelle et immense qui doit être prise est l’image multiple de la nature ». Une lettre d’Emile Bernard évoquant Cézanne appuie ce propos : « En art il (Cézanne) ne parle que de peindre la nature selon sa personnalité et non selon l’art lui-même. »

Dans « Connaissance des arts », le commissaire Alain Tapié explique : « C’est un peintre du surgissement. Il filtre ce qu’il voit dans la peinture italienne ancienne, comme il filtre ce qu’il voit dans le paysage, pour en conserver l’essence fondamentale. (…) Il ne va pas copier le style des artistes, mais s’inspirer de leurs visions. » C’est pour cette raison que A. Tapié assimile cette exposition à une « approche organique de la peinture ». 

Le parcours se divise en deux parties. La première s’axe sur la mise en lumière des inspirations des grands maîtres de l’Ecole Vénitienne (Titien, Le Tintoret, Bassano, Le Greco…), de l’Ecole Napolitaine (Ribera, Caravage…) et de l’Ecole Romaine (avec le classicisme de poussin, Munari…) des XVIème et XVIIème siècles. Chez l’un est mise en valeur la structure spatiale en touches de couleurs, chez un autre la construction lumineuse, chez un troisième la manière dont le peintre ressent cette nature qui lui est si chère, et comment il la retranscrit… Toutes ces stimulations artistiques, toutes ces italianités, ressurgissent à travers les toiles exposées afin que nous en ressentions les influences. 

La seconde partie révèle l’influence de Cézanne sur les peintres italiens du Novecento, tels Carlo Carrà, Mario Sironi, Giorgio Morandi…, qui étaient en quête d’une vision artistique harmonieuse, désireux de renouer avec une tradition issue de l’esprit antique.

La co-commissaire Marianne Mathieu, qui est directrice scientifique du musée Marmottan, met en exergue la créativité de Cézanne : « Sa postérité est double, avec d’un côté l’éclatement du cubisme et de l’autre ce regard italien, plus classique, sous le pinceau de peintres qui s’inscrivent dans cette notion de permanence, d’intemporalité ». C’est ce second regard qui est mis à l’honneur dans cette exposition. Dans une lettre à son ami Émile Zola, en 1878, il confiait lire pour la troisième fois l’« Histoire de la peinture en Italie » (1817) de Stendhal. Et dans une correspondance avec le peintre Émile Bernard, il confiait : « Les plus grands, vous les connaissez mieux que moi : les Vénitiens et les Espagnols ». La réflexion plastique du peintre Aixois, la puissance constructive de la composition de ses œuvres, la transmission de ses émotions… tous ces aspects artistiques nous questionnent en déambulant à travers les salles de cette exposition. Cette autre manière d’appréhender les stimulations esthétiques de Cézanne enrichissent notre perception du peintre. Quant aux influences qu’il a à son tour prodiguées aux peintres du Novecento, elles réfèrent d’un héritage que Cézanne lui-même avait reçu des grands maîtres des XVIème et XVIIème siècles. Une belle boucle en somme. 

 

 

Cézanne et les Maîtres

Rêve d’Italie 

Musée Marmottan Monet

Du 27 février 2020 au 03 janvier 2021

FELIX FENEON Les temps nouveaux, de Seurat à Matisse

Le Musée de l’Orangerie met à l’honneur un acteur prédominant du paysage artistique moderne de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème siècle : Félix Fénéon (1861 – 1944). 

Cet homme engagé, ardant défenseur de la liberté, débuta sa carrière comme fonctionnaire au Ministère de la Guerre mais il fut avant tout un grand critique d’art et de littérature, un rédacteur, un éditeur et un galeriste incontournable. Il est indispensable de souligner que cet homme fut de surcroît un militant anarchiste. Félix Fénéon avait foi en des lendemains florissants et croyait fortement à la favorisation d’un idéal social.

L’exposition de l’Orangerie relate ces multiples engagements avec minutie, soulignant ainsi la posture avant-gardiste de ce personnage atypique, tant sur le plan esthétique, littéraire et pictural, que dans sa composante politique.

Félix Fénéon fut un collectionneur d’exception, de ceux qui participèrent à l’histoire de l’art moderne. Il possédait une clairvoyance sans failles quant à ses choix esthétiques, décisionnaire de ses acquisitions. Il commença par s’intéresser aux œuvres d’Edouard Manet puis s’évertua à investir dans tous les artistes novateurs de cette époque faste, jusqu’à posséder dans sa vieillesse des toiles de Max Ernst ou encore d’André Masson. Seul bémol bien original pour ce visionnaire : il n’appréciait guère Pablo Picasso. 

Félix Fénéon aimait fréquenter les artistes, et c’est grâce à l’entretien de ces relations qu’il investissait directement auprès d’eux. Il leur achetait de cette manière de nombreux tableaux. Qui plus est, il faisait des acquisitions de certains jeunes peintres qu’il considérait comme moins talentueux, afin de les aider à subsister et continuer leur art. Il entretenait cependant des liens plus intimes avec les peintres néo-impressionnistes qui le passionnaient. Enthousiasmé par leurs recherches artistiques, il devint l’ami de Seurat, Cross et Signac. Il fut même le plus important collectionneur de Seurat, dont il détenait une vingtaine de peintures et une quarantaine de dessins. Son admiration pour lui demeurait profonde. Mais le critique et collectionneur était aussi émerveillé par l’art africain, qu’il qualifiait d’« arts lointains ». Il était sensoriellement et intellectuellement touché par ces objets et masques venus d’ailleurs, au-delà de nos frontières. Il contribua de sa plume à mettre en avant son engouement pour ces œuvres africaines. Et prêta maintes d’entre elles pour les faire découvrir. 

En 1906, Félix Fénéon intègra le département art moderne d’une grande Galerie : celle de Bernheim-Jeune. Etant nommé directeur artistique, il mit en évidence lors d’expositions dans la Galerie un nombre extraordinaire de peintres talentueux qui furent vénérés par la suite : Seurat, Bonnard, Van Dongen, Matisse, Signac, Cézanne, Cross, ou encore le Douanier Rousseau, Modigliani, Vuillard, Dufy… La liste est incroyable mais n’oublions pas que ces artistes étaient à l’époque des avant-gardistes, ce qui souligne avec force le talent et l’intuition aiguë de Félix Fénéon et son goût pour la modernité. De son vivant, Félix Fénéon fut l’heureux propriétaire d’une collection d’environ 1500 œuvres, qui après sa mort fut éparpillée, totalement désassemblée. En sus de prêter régulièrement ses multiples acquisitions à diverses expositions artistiques, il confia de nombreuses œuvres à l’exposition anticoloniale mise en place par Thirion et Aragon au début des années 30. Quant à son amour pour la littérature, il le poussa jusqu’à éditer des écrivains maintenant illustres comme Rimbaud, Mallarmé, James Joyce, Gide…

Au niveau politique, rappelons que la fin du 19ème siècle n’était pas uniquement l’époque des développements sociaux et des avancées technologiques. La pauvreté, les disparités sociétales restaient inexorablement en discordance avec la population. C’est en cela que Félix Fénéon se déclarait anarchiste, comme d’autres intellectuels avant-gardistes, afin de contester ces failles dont il rêvait qu’elles disparaissent. Mais il luttait plutôt avec une appétence utopique. Et lorsque le mouvement anarchiste perdit de son panache, peu après la guerre, il flirta avec le communisme sans pour autant s’engager dans le parti. 

 

Le mot d’ordre, le terme référent, qui se rapporte le mieux à Félix Fénéon reste avant tout l’engagement, qui fut pour lui une bataille contre l’ordre établi qu’il soit culturel, social ou politique. Le Musée de l’Orangerie nous relate avec attention, à l’aide de documents étoffés, sculptures et œuvres picturales chères à ce grand collectionneur, l’immense talent de critique d’art et de découvreur d’artistes que cet homme fut. Avec une modernité incroyable.

  

Musée de l’Orangerie

Du 16 octobre 2019 au 27 janvier 2020 

PETER HUJAR Speed of life

Le directeur du Musée du Jeu de paume, Quentin Bajac, a choisi de mettre à l’honneur un photographe peu connu du grand public qui représente pourtant une figure incontournable de la scène artistique underground des années 70 et 80 à New York : le photographe Peter Hujar (1934 – 1987).

Anciennement directeur du département de la photographie du MoMA, Q. Bajac nous fait découvrir un artiste intransigeant et complexe qui entretint des rapports conflictuels avec les galeristes et marchands de l’époque et qui, in fine, n’eut que de très rares expositions de son vivant. 

Peter Hujar débute sa profession de photographe dans les années 50. Il travaille entre autres au côté de Richard Avedon, qui contribue à sa formation, dans un monde photographique commercial : celui de la publicité et de la mode. Il assiste ainsi nombre de photographes publicitaires jusqu’en 1968. Mais il ne se reconnaît pas dans cet univers et décide de se polariser sur une démarche pleinement artistique. Au début des années 70, il choisit de vivre dans une totale liberté dans l’antre de la scène avant-gardiste new-yorkaise. Il embrasse la culture du Downtown qui représente l’image d’une inclinaison culturelle antithétique aux règles sociales prédominantes. Le cercle mythique contemporain à la créativité de Peter Hujar rassemble pléthore de personnalités peu conformistes, contestataires, dont la fécondité artistique embrase le quartier sud de l’East Village à Manhattan. C’est là que l’homme s’installe dans les années 70 et 80, emménageant dans un loft studio de ce quartier à la réputation douteuse. Il y côtoie toute une génération d’écrivains, de peintres, de musiciens…, qu’il aime photographier dans son studio, comme S. Sontag, W.S. Burroughs, F. Lebowitz, A. Warhol. Il pointe son objectif sur des personnes qui écoutent leur feeling, pulsés par leur cœur, leurs intuitions. Peter Hujar écrit : « Mon travail est dans le droit fil de ma vie. Les gens que je photographie ne m’apparaissent ni comme des monstres, ni comme des curiosités. J’aime les gens qui osent. » L’artiste désire instaurer une connexion avec la personne qui pose pour lui, pour dévoiler sa sensibilité, son âme : « Je photographie ceux qui s’aventurent jusqu’à l’extrême. C’est ce qui m’intéresse – et que les gens revendiquent la liberté d’être eux-mêmes. » (Grants in Photography : how to get them, 1979, Lida Moser)

Tout au long de son existence, Peter Hujar photographie son cercle intime : amants, confidents, amis… Même s’il n’était pas un ardent activiste du mouvement gay, il vivait pleinement et ouvertement son homosexualité. Il a d’ailleurs, dès 1970, réalisé une photo qui devint l’affiche du Gay Liberation Front, en message de résistance contre les irruptions policières survenues dans un bar homosexuel (1969). 

Le travail de l’artiste évolua donc sur une période où, parallèlement, apparaissait une perceptibilité du monde gay en lutte contre le système autoritaire qui persécutait amèrement lesbiennes, gays, transgenres et bisexuels. Quant au fléau du Sida, Peter Hujar en fut une malheureuse victime puisqu’il en mourut en 1987. 

L’exposition du Jeu de Paume met donc en exergue la trajectoire de vie de ce photographe hors normes qui fut un pilier majeur de la scène créatrice de l’East Village. Nous découvrons ainsi le portrait d’un artiste lui-même grand portraitiste. Grâce à sa formation conventionnelle en studio, Peter Hujar a acquis une grande expérience dans la réalisation et le tirage de photographies classiques en noir et blanc. Il ne dérogera pas à ce classicisme, révélant ses modèles dans une esthétique soignée, obstinément en noir et blanc, posant dans son loft studio. De surcroît, il effectuait toujours ses tirages. Jamais il ne les confia à quiconque. 

Nous découvrons ainsi, en déambulant dans les salles du Jeu de paume, ses portraits faits en atelier, mais aussi ses nus, essentiellement d’hommes, ainsi que ses photographies sur sa vision du New York qu’il fréquente, au sein duquel il vit, et toute la population underground qui traverse ces lieux caractérisés par la fantaisie et la marginalité de chacun. Il sait décrire sa contemporanéité, celle des années 70 et 80 où nombre de mouvements de la contre-culture émergent.

La seconde partie de l’exposition découle de l’ultime exposition de Peter hujar alors qu’il était encore en vie, en 1986, à la Gracie Mansion Gallery de New York. Ce nouvel accrochage des œuvres s’inspire de l’entremêlement des multiples thèmes chers au photographe afin de recréer une cohésion esthétique. 

Ce grand photographe savait instaurer une confiance avec ses sujets, afin de leur permettre de s’extraire de leurs habitudes pour créer autre chose. Quentin Bajac l’explique ainsi : « Parce que sa sensibilité est de l’air du temps. Une grande partie de sa production porte sur la déconstruction du genre, des jeux sur la pseudo-virilité, l’artifice, des hommes déguisés en femme… une façon de dire que le naturel n’existe pas et donc que tout genre est une construction. » 

Cet hommage à Peter Hujar révèle avec sensibilité la démarche artistique de ce faiseur d’images et son parcours de vie atypique. 

 

Peter Hujar

Speed of Life

Du 15 octobre 2019 au 19 janvier 2020

Musée du Jeu de Paume, Paris

TOULOUSE - LAUTREC Résolument moderne

Cette exposition monographique d’exception que le Grand Palais nous présente est résolument incontournable.

Près de 200 œuvres sont disposées dans les immenses salles du musée, attestant de la contribution innovatrice de Toulouse-Lautrec aux différents champs picturaux tels que la peinture, la lithographie, ou encore l’affiche.

Les commissaires Stéphane Guégan et Danièle Devynck aspiraient à mettre en évidence la vision novatrice du cheminement de l’artiste dès la fin du 19ème siècle et sa contribution au préambule de la modernité du 20ème siècle. Tâche oh combien réussie.

Né à Albi en 1864 de parents issus de l’aristocratie française, Henri de Toulouse-Lautrec grandit avec une maladie osseuse qui ne l’empêchera pas de s’exprimer artistiquement, et cela avec une immensurable liberté de pensée. Cet éternel appétit le poussera vers les sphères des grands affichistes parisiens, mais aussi vers une virtuosité dans les domaines de la lithographie et de l’illustration, cette dernière l’amenant à travailler pour la presse de l’époque. Le regard de cet artiste hors normes sur la société de la fin du 19ème siècle est dénué de compromis, d’une rigueur implacable. Cependant il n’est nullement moralisateur. En témoigne son irrésistible attraction pour les maisons closes qu’il décrit sans le moindre jugement, s’attachant particulièrement aux relations entre prostituées, intimement liées par un quotidien bien singulier. Toulouse-Lautrec décrivait frontalement ces êtres de la vie nocturne, cette humanité en marge, mais il en ressortait une certaine affection pour tous ces personnages insolites. Une compréhension qui lui était intimement liée. 

Un autre schème que l’exposition met en avant représente sa vive inclination pour le mouvement. Nous découvrons que cette passion le taraude très tôt, en même temps que son enthousiasme pour les chevaux. Ses coups de crayon prompts et fougueux retracent avec frénésie l’animation et l’effervescence des corps, en retranscrivant une impressionnante vivacité. Quant à ses affinités avec le monde littéraire et théâtral, elles sont indéniablement en lien avec une connivence pour un certain mordant et un attrait pour l’anticonformisme. Car l’artiste sait autant se fondre dans le monde nocturne que dans l’intelligentsia parisienne. L’homme est cultivé, passionné, curieux, incisif. Il outrepassera son infirmité pour accéder à sa propre objectivité esthétique. Et cela en élevant les personnes exclues et blâmées par la moralité bien-pensante. Car il se sentira toujours à l’aise aux côtés des non-conformistes. Et c’est à Montmartre qu’il se sentit le plus chez lui, qu’il put s’épanouir et épanouir son art. Sa courte vie fut riche d’ouverture d’esprit et de création. Et il la croqua avec tumulte et frénésie, jusqu’à l’épuisement. 

Le Grand Palais lui rend un bel hommage. Henri de Toulouse-Lautrec pourrait lui-même conclure avec ses propres mots « Les crayons c’est pas du bois et de la mine, c’est de la pensée pour les phalanges. » 

 

Grand Palais, Galeries Nationales

9 octobre 2019 – 27 janvier 2020 

IMPRESSION, SOLEIL LEVANT - L’histoire vraie du chef-d’œuvre de Claude Monet

Le Musée Marmottan Monet, qui fête ses 80 années d’existence, célèbre à l’occasion d’une exposition temporaire la fameuse toile peinte par Claude Monet : « Impression, soleil levant ». Cette idée insolite commémore de surcroît un anniversaire important dans l’histoire de la peinture : les 140 ans de la première exposition de la Société des Artistes Anonymes (15 avril 1874), où fut présenté ce tableau emblématique qui donne son nom au mouvement impressionniste.

La toile, légendaire ornement pictural de la collection permanente du Musée Marmottan, se révèle être le fruit d’une histoire originale que de précieuses recherches vont nous dévoiler.

De nombreuses questions se sont posées quant à l’élaboration et au parcours du tableau. Et c’est en termes très précis que les différentes investigations nous livrent des réponses pointues, donnant vie à une œuvre qui se positionne de manière cruciale dans l’histoire de l’art. Ce beau périple est parsemé de près d’une soixantaine de toiles de maître, ainsi que de 25 tableaux peints par Claude Monet. S’y ajoutent moult documents et photographies qui apportent des informations concises affinant avec clarté notre propre questionnement.

Lors des années 1860 – 1870, l’aurore, les balbutiements des premières lueurs du jour, tout comme leur agonie à l’heure où le soleil décline et que la lune apparaît, sont à l’origine d’analyses picturales chères à Eugène Boudin ou encore à J. B. Jongkind. Toutes ces déclinaisons de lumière sur l’immensité du ciel et de l’eau énoncent un travail sur les flux et reflux de l’intensité lumineuse sur les éléments. Ces deux grands peintres sont les maîtres incontestés de C. Monet, et ont une place privilégiée dans l’exposition. Ils ouvrent ce parcours analytique et artistique et ce, en compagnie de trois autres virtuoses : Delacroix, Courbet et Turner (découvert à Londres par C. Monet aux alentours de 1870). Ces influences esthétiques enrichissent notre perception des différentes inspirations du peintre, avec des toiles élaborées avant 1872 qui témoignent des origines du développement créatif de C. Monet.

L’étape iconographique qui s’ensuit présente « Impression, soleil levant », célèbre tableau du Port du Havre embrumé et vaporeux, qui trône parmi des œuvres picturales et des photographies (dont certaines de Gustave Le Gray) du site portuaire, accompagnées de plans définissant les multiples approches et les distinctions de chaque point de vue. Ces investigations vont même jusqu’à établir les heures des marées, ainsi que celles des levers et couchers du soleil, jusqu’à dater rigoureusement la réalisation de la toile de C. Monet : le 13 novembre 1872 à 7h35. Le peintre se trouvait dans sa chambre d’hôtel et regardait en direction de l’est lorsque cet instant magique et éblouissant, au travers de la brume, a transpercé son regard et sa vision d’artiste.

Une autre toile de Monet, datant aussi de 1872 et provenant d’une collection privée, nous fait découvrir « Le port du Havre, effet de nuit », œuvre plutôt singulière par sa vision nocturne. Nous pénétrons alors dans une salle où figurent deux grandes oeuvres de Claude Monet : « Le déjeuner » (1868) et « Le boulevard des Capucines » (1873). Le lien avec « Impression, soleil levant» est qu’elles furent toutes trois présentées à la première Exposition des impressionnistes, comme la nommera le journaliste Louis Leroy dans son article pour Charivari. Nous sommes le 15 avril 1874, à l’occasion de la première exhibition de la Société des Artistes Anonymes dans les anciens ateliers du photographe Nadar. Les œuvres présentées, issues de la créativité de près de trente artistes (Courbet, Degas, Pissarro, Sisley, Renoir, Morisot …), objectent les exigences imposées par le Salon Officiel. « Impression, soleil levant » (titre original extrait du livret de l’époque) n’enthousiasme pas les critiques, l’hostilité provenant sûrement d’une approche esthétique extrême en comparaison des deux autres toiles qu’il y présente. Mais l’article de Louis Leroy n’en demeurera pas moins à l’origine de la dénomination du mouvement artistique.

En mai 1874, le collectionneur Ernest Hoschedé devient le propriétaire d’«Impression, soleil levant » pour une somme de 800 francs. Mais quatre ans plus tard le tableau a un nouvel acquéreur, le docteur Georges de Bellio, pour seulement 210 francs ! Nous percevons bien le désintéressement que procure la toile à cette époque. Et nous pouvons aussi constater que sa désignation a changé : « Impression, soleil couchant ». L’œuvre va alors être léguée par Georges de Bellio à sa fille Victorine, mariée à Eugène Donop de Monchy. Ce dernier insistera à plusieurs reprises pour prêter « Impression… » lors de diverses expositions alors que ce sont d’autres Monet qui lui sont le plus souvent réclamés.

L’exposition s’intéresse alors à quelques-unes des œuvres issues des collections des propriétaires successifs de l’œuvre de Monet, pour nous stipuler une fois de plus qu’ « Impression… » était loin d’être un élément essentiel de leurs acquisitions. Ce détachement, du fait d’une absence de désir des organisateurs des exhibitions, est un fait récurrent, attesté par de nombreux documents qui nous mènent toujours à cette même conclusion.

Mais « Impression… » va connaître des rebondissements qui la mèneront vers une destinée plus florissante. Le couple Donop de Monchy décidera d’entreposer le tableau au Musée Marmottan le 1er septembre 1939 en raison de « risque de guerre ». Signalons que le Musée est alors voué aux collections de l’Empire, et que le mouvement impressionniste n’y est absolument pas représenté. « Impression, soleil couchant » sera clandestinement transportée à Chambord, en compagnie des œuvres du Louvre, pour y être camouflée six années. Mais le tableau appartient désormais au Musée Marmottan : Victorine et Eugène Donop de Monchy en font don le 23 mai 1940. L’œuvre a gardé le titre d’ « Impression, soleil couchant » et ne reprendra le terme de « soleil levant » qu’en 1965. Ce n’est qu’à partir des années 1950 que l’œuvre acquerra une certaine notoriété, suite à l’organisation d’expositions consacrées à Claude Monet ou au mouvement impressionniste, ainsi qu’à l’élaboration de publications spécialisées.

Sur la fin du parcours, où nous redécouvrons des toiles d’Alfred Sisley ou de Camille Pissarro, des tableaux de C. Monet datant des années 1880 témoignent de la plénitude de l’esthétique amorcée lors d’ «Impression, soleil levant », approche encore singulière dans ses réalisations de 1870. Y figurent « La plage à Pourville. Soleil couchant » (1882) ou encore « Soleil couchant sur la Seine, effet d’hiver » (1880).

Voici donc un itinéraire pictural à la fois enrichissant et esthétiquement fleurissant qui met en exergue la naissance d’une mouvance artistique dont la dénomination est issue de l’œuvre devenue emblématique de Claude Monet : « Impression, soleil levant ». Citons le peintre lui-même qui, en 1897, dit à propos de la première exposition de cette fameuse toile : « J’avais envoyé une chose faite au Havre, de ma fenêtre, du soleil dans la buée et au premier plan quelques mâts de navire pointant… On me demande le titre pour le catalogue, ça ne pouvait vraiment pas passer pour une vue du havre ; je répondis : Mettez impression. »

Nous aimerions associer cette exposition à celle du Musée du Luxembourg où l’hommage à Paul Durand-Ruel, sur le pari impressionniste, s’affilie divinement bien à l’histoire du chef-d’œuvre de Monet relaté à Marmottan.

Impression, soleil levant - L'histoire vraie du chef-d'oeuvre de Claude Monet - du 18 septembre 2014 au 18 janvier 2015 - Musée Marmottan Monet - Paris

Sonya Delaunay (1885-1979) Les Couleurs de l'Abstraction

Une vaste rétrospective dédiée à Sonia Delaunay emplit actuellement les salles du MAM. Le visiteur peut y déambuler à travers les différentes époques de la vie de l’artiste, et ainsi y découvrir les multiples facettes de sa créativité foisonnante et innovatrice.

Près de 400 œuvres sont exposées, témoins de la pluralité artistique de cette grande pionnière de l’abstraction, qui se réjouissait de combiner les arts appliqués et la sacro-sainte discipline artistique qu’incarnait la Peinture.

Ne soyez donc pas surpris de pouvoir vous émerveiller devant des toiles époustouflantes mais aussi de vous enthousiasmer devant des décorations murales, des créations textiles, des publicités, des costumes de théâtre, des articles de mode… ou encore un coffre à jouets ou une mosaïque. Quant à la poésie, elle représentait une dimension vitale, puisqu’elle animait le souffle artistique de cette créatrice hybride, dont la curiosité et l’ouverture aux autres et au monde furent le moteur d’un travail acharné, joyeux et surtout coloré.

L’exposition nous permet d’intégrer et d’accompagner chronologiquement le cheminement de cette femme dont l’œuvre prit naissance dès les premiers balbutiements d’un 20ème siècle fourmillant, et se prolongea jusqu’au crépuscule d’une longue et riche vie, vers la fin des années 70.

Sara Sophie Stern nait en 1885 près d’Odessa, en Ukraine, au sein d’une humble famille juive. Confiée à son oncle maternel Henri Terk, avocat fortuné vivant à Saint-Pétersbourg, elle évolue dans un cercle bourgeois où les artistes peintres, écrivains, poètes… se côtoient, et grandit ainsi dans un milieu où la création artistique est amplement estimée.

Elève à l’Académie des Beaux-Arts de Karlsruhe, en Allemagne, elle accomplit déjà des portraits et autoportraits réalisés à la mine de plomb ou au fusain, ainsi que quelques esquisses de nus et de paysages. Nous pouvons en découvrir quelques-uns dès l’entrée de l’exposition.

Mais très vite elle décide de se rendre à Paris. Nous sommes en 1905 et elle n’a que 20 ans. Le fauvisme l’interpelle particulièrement. C’est au Salon des Indépendants qu’elle entrevoit les toiles de Gauguin. Elle est touchée par son synthétisme formel, où les couleurs en aplat, d’une vivacité éclatante pure, sont cernées de noir. Cette approche picturale inspire Sonia. En attestent ces magnifiques tableaux réalisés entre 1906 et 1908, comme « Philomène », « La finlandaise » ou encore « Jeune finlandaise ». L’essence de la couleur résonne, les traits et contours y sont accentués, surlignés. Les différentes tonalités s’agencent de manière structurale et la pureté de ses choix chromatiques aux accents intenses est époustouflante. Quelle modernité !

Sa perception est déjà toute singulière. Sa démarche créatrice prend naissance grâce à cette perpétuelle exploration formelle, baignée dans la lumière et la couleur.

Pour obtenir la nationalité française, Sonia épouse un galeriste et critique d’art, Wilhelm Uhde. C’est une union liée uniquement par l’amitié. Cet homme expose des peintres comme Braque, Dufy, Vlaminck… et un jour arrive un certain Robert Delaunay. Sonia croise Robert en 1909 à la galerie. Elle divorce rapidement et se marie en 1910 à cet homme qu’elle aime profondément, avec qui elle partagera son avidité créatrice et son amour de l’art. Ensemble ils amorcent une épopée abstractive qui éclot de la pureté de la couleur, de la vivacité des tons, de la lumière. Ils posent un œil neuf et aspirent à émanciper la peinture de son aspect figuratif. Leurs proches sont esthètes, poètes… Leur envie : s’inscrire dans l’harmonie d’une existence joyeuse et créative, en perpétuel lien avec les arts et la beauté. Leur union donne naissance au simultanéisme, cosmos imprégné de « prismes colorés », où la couleur détient une toute-puissance constructive et cadencée, jaillissant du contraste et de l’influence mutuelle que chaque sphère colorée crée en se rapprochant d’une autre. L’œuvre est alors animée par ce frémissement des tons qui s’entremêlent et s’opposent, comme nous le révèle cette magnifique toile peinte en 1913 : « Le Bal Bullier ». La déstructuration formelle est rythmée par ces nouvelles combinaisons de couleurs qui se créent grâce aux contrastes simultanés.

Il est important de s’arrêter un instant sur ce que représentait cette sensibilité toute particulière que Sonia Delaunay ressentait lorsque ressurgissaient les souvenirs de son enfance en Russie : les vêtements bigarrés du folklore slave, les marchés aux étalages ardemment colorés, les jardins éclatants… ces couleurs vives ont dès le départ imprégné son univers pictural. Et ses voyages en Espagne et au Portugal, baignés de ces teintes resplendissantes, ne feront que renforcer la vivacité de ses choix chromatiques.

Mais déjà elle commence à créer au sein d’autres domaines : la couverture de son fils (1911), formée d’une mosaïque de diverses étoffes, le coffre à jouets (1913), … ainsi que des vêtements et des décorations murales. Le simultanéisme y est de rigueur, l’artiste désirant développer sa créativité autant dans la peinture que dans les arts appliqués. Tout est propice à expérimentation, et bien entendu la littérature n’échappe pas à la passion de Sonia. Grande admiratrice de la poésie de Blaise Cendrars, elle s’associe à lui pour colorer « La Prose du Transsibérien et de la Petite Jehanne de France », ou encore illustre ses œuvres littéraires préférées de multiples papiers aux configurations géométriques éclatantes.

L’échange est au centre des recherches esthétiques de l’artiste. Elle converse avec toutes les formes artistiques, en les interconnectant et en supprimant toute notion de hiérarchie entre elles. Sonia Delaunay s’inscrit dans une démarche avant-gardiste où l’art s’exprime librement, indépendamment de tout confinement au sein d’une discipline.

Après avoir mis en exergue ses « Prismes électriques », avec cette vitalité de cercles et de courbes éblouissants, Sonia continue à travailler sur cette combinaison du réel et de l’imagination, avec ces entités concentriques abstraites.

Pendant la première Guerre Mondiale, elle et Robert séjournent en Espagne et au Portugal. La peintre y déploie son énergie en réalisant des costumes de théâtre et des vêtements. La mode prend une place conséquente puisqu’elle décide de commercialiser ses créations à Madrid, puis à Paris. C’est un succès. En 1925, elle collabore avec un créateur de mode, Jacques Heim, afin de concevoir au gré de différentes matières, des motifs, des tissus aux imprimés novateurs, des costumes de ballet,…Sonia Delaunay aime explorer, s’enrichir de toutes les substances artistiques.

Du couple Delaunay éclot une abstraction de plus en plus épurée. Ils sont présents au Salon des Réalités Nouvelles et, en 1937, Sonia crée trois immenses panneaux décoratifs pour habiller les Pavillons de l’Air et du Chemin de fer à l’Exposition internationale des arts et techniques. La Galerie Denise René la soutient et expose ses toiles. Mais la Seconde Guerre Mondiale surgit, et Robert meurt en 1941. La peintre est dévastée et aura toujours le dessein de faire reconnaître le travail de son mari, afin que son œuvre se distingue durablement et que les gens la comprennent et en cernent l’importance.

La suite de l’exposition nous permet de découvrir l’évolution de l’artiste vers une gamme chromatique en mutation, avec des gouaches abstraites, libres créations émotionnelles.

Sonia entretiendra ce souffle créatif jusqu’à la fin de sa vie et ce, en continuant d’explorer les autres disciplines, comme dans son travail avec les Editions Artaurial, sa réalisation de mosaïques, de tapisseries, ou encore de tapis.

Cette grande dame aura imprégné de couleurs et de lumière l’univers pictural et la mode, en effectuant un voyage vers l’épure et l’abstraction, en harmonie avec toutes les expressions artistiques. De la vie partagée avec son époux, elle dira :

« Nous nous sommes aimés dans l’art comme d’autres couples se sont unis dans la foi, dans le crime, dans l’alcool, dans l’ambition politique. »

PAUL DURAND-RUEL - Exposition au Musée du Luxembourg

Le pari de l’impressionnisme
Manet, Monet, Renoir...

« Durand-Ruel était un missionnaire. C’est une chance pour nous que sa religion ait été la peinture. » 
                                                                                                                                                           Pierre-Auguste Renoir

Le Musée du Luxembourg a décidé de faire honneur à un homme, Paul Durand-Ruel, qui fut marchand d’art, galeriste passionné, garant d’un activisme fougueux et enthousiaste grâce auquel les peintres impressionnistes trouvèrent un soutien sans failles et obtinrent une place privilégiée dans l’histoire de l’art. Paul Durand-Ruel (1831 – 1922) va livrer tout au long de sa vie un combat acharné pour faire reconnaître les valeurs et le talent d’un cénacle d’artistes récusés, qui provoquaient l’indignation générale. C’est dire si le galeriste s’est mis en péril, avec une constance et une persévérance qui ont renforcé son rôle de médiateur inspiré, et cela à travers une indéniable intuition d’avant-gardiste. Ce marchand d’art fait des choix audacieux, déterminé à influencer les collectionneurs, à provoquer un désir face à cette mouvance esthétique novatrice, pour bien entendu engendrer un capital artistique nécessaire à la survie de tous.
La commissaire de cette exposition, Sylvie Patry, a rassemblé moult toiles que le marchand a achetées, puis revendues, puis de nouveau acquises. Le choix des œuvres sélectionnées résulte d’une recherche appliquée, exercée au travers des mémoires de P. Durand-Ruel, de ses lettres, et de documents d’époque. L’agencement des différents espaces permet de découvrir les principales phases que le marchand d’art a traversées, au fil de ses rencontres artistiques décisives. 
Paul Durand-Ruel est un bourgeois, catholique fidèle et monarchiste convaincu. Ce qui n’entravera jamais ses relations avec les peintres auxquels il croit, et dont les profonds désaccords d’opinion sont parfois incontestables. Il ne mélangera jamais ses convictions politiques personnelles avec ses goûts esthétiques, respectueux du travail et des opinions de chacun. 
Dès les années 1850, il s’enthousiasme devant la beauté des toiles de Delacroix (dont « L’assassinat de l’Evêque de Liège »), alors chef de file du romantisme, et apprécie des peintres issus du paysage réaliste comme Rousseau, Corot, Courbet, Millet... C’est ce qu’il nomme « la belle école de 1830 » (il acquiert près de 200 C. Corot et une centaine de T. Rousseau). Le jeune homme a la chance de pouvoir travailler avec son père, galeriste, dont il prendra la relève au milieu des années 60. Déjà il décide d’acheter en grande quantité les œuvres des peintres, tente d’obtenir d’eux l’exclusivité pour maîtriser les valeurs marchandes, et élabore de vastes collections. 
Lors de la guerre franco-prussienne, il fuit Paris pour Londres et transporte ses toiles afin d’y agencer des expositions. Il parle anglais, fait rare pour l’époque, et il est à ses yeux important de briller à l’étranger et d’y diffuser les œuvres artistiques françaises. Mais c’est aussi dans la capitale anglaise qu’il fait des rencontres déterminantes: celles de Claude Monet et Camille Pissarro, aux alentours de 1870. Il est conquis et expose leurs toiles dans sa succursale londonienne (mais aussi à Bruxelles). Il revient à Paris en 1872 et se consacre alors à ces artistes en rupture avec l’académisme officiel. Viendront A. Sisley, E. Degas, A. Renoir, B. Morisot, M. Cassatt... et Edouard Manet, que P. Durand-Ruel découvre grâce à deux toiles laissées dans l’atelier d’A. Stevens. Subjugué, le marchand d’art se précipite chez Manet et acquiert toutes les œuvres du peintre. Il est un acheteur fougueux, exalté, et prône l’exclusivité. Il favorise l’organisation d’expositions collectives des peintre impressionnistes, en confiant ses œuvres ou en hébergeant lui-même une grande exhibition de ces toiles dans sa galerie,en 1876. Mais la crise économique a frappé et P. Durand-Ruel, dès 1874, n’a plus les moyens financiers d’acheter quoi que ce soit, et ce pendant cinq longues années. 
Il a l’occasion, vers 1880, de pouvoir de nouveau financer quelques acquisitions, avant de subir une nouvelle crise. Mais en 1883, il arrive à organiser de nouvelles expositions individuelles de Monet, Renoir ou encore Boudin... Ces exhibitions aboutissent à une défaite commerciale mais gagnent enfin une certaine faveur des critiques. Toujours en action, P. Durand-Ruel ne lâche pas et ouvre, en1886, une galerie à New-York où ildécide de séduire les grandes fortunes américaines passionnées d’art. Ce marché clément ouvre de nouvelles alternatives tant sur le plan financier que sur la légitimité d’un mouvement esthétique essentiel, incontournable.C’est un tournant décisif. La bataillede Paul Durand-Ruelfut longue ettumultueuse. La volonté et la conviction de cet homme exceptionnelfurent le fruit d’une exemplarité acharnée. Dans une lettre adressée à Claude Monet, le 15 janvier 1886, il écrit : 
« Je travaille avec une ardeur que vous ne soupçonnez pas pour recruter de nouveaux amateurs et chauffer les autres. Je gagne du terrain chaque jour et nous finirons bien par triompher. »
Claude Monet, en 1924, déclarera : 
« Sans Durand, nous serions morts de faim, nous tous les impressionnistes. Nous lui devons tout. Il s’est entêté, acharné, il a risqué vingt fois la faillite pour nous soutenir. La critique nous traînait dans la boue; mais lui, c’estbien pis! On écrivait : Ces gens sont fous, mais il y a plus fou qu’eux, c‘est un marchand qui les achète ! » 
Durant ces années de dévouement sans limites, Paul Durand-Ruel aura acquis près de 12000 tableaux, dont 1500 Renoir, 1000 Monet, 800 Pissarro, 400 Degas, 400 Boudin, 400 Cassatt, 400 Sisley ou encore 200 Manet. 
Auguste Renoir, avec qui il lia une grande amitié, ouvre et ferme cette exposition. Il fut celui que P. Durand-Ruel choisit pour réaliser des portraits de sa famille (exposés dans la salle d’ouverture de l’exposition). Ses trois toiles verticales des couples dansant, datant de 1883, font partie de la dernière salle de cette exhibition qu’il est esthétiquement et artistiquement enrichissant d’aller admirer. 
En novembre 1885, Auguste Renoir écriraà son ami Paul Durand-Ruel :
« (...) Ils (le public, la presse et les marchands) auront beau faire, ils ne vous tueront pas. Votre vraie qualité : l’amour de l’art et la défense des artistes avant leur mort. Dans l’avenir, ce sera votre gloire. »

 



EMILE BERNARD - Exposition Au Musée De l’Orangerie

Le musée de l’Orangerie nous permet actuellement de découvrir le singulier chemin suivi par Emile Bernard (1868 – 1941), dont l’itinéraire artistique fut jonché d’étapes successives pour le moins étonnantes, voire paradoxales. Une centaine d’œuvres nourrissent ce parcours multiforme qui peut paraître abscons tant l’évolution des choix esthétiques de l’artiste nous interpelle. Car Emile Bernard fut une figure avant-gardiste importante avant de devenir un virulent prosélyte du classicisme.

A la fin des années 1880 ce sont le naturalisme et l’impressionnisme qui sont au devant de la scène artistique picturale. Le jeune Emile Bernard réprouve ces mouvements artistiques. A ses yeux ils ne rapportent qu’une représentation réaliste du paysage, en privilégiant l’impression instantanée peinte sur le motif, ou en restituant le monde environnant dans son éphémère authenticité. Il rejette alors cette vision naturaliste et se penche vers le symbolisme, en usant de principes esthétiques clairs : simplifier les formes et tracés, positionner les couleurs en aplats, tout en délimitant clairement les contours par des cernes. Ces procédés de composition, qualifiés de cloisonnisme, s’affiliaient au synthétisme qui se définissait par le refus de représenter la réalité telle quelle, en créant des œuvres grâce à la mémoire, à la souvenance de multiples sensations et à la méditation qui pouvait en résulter. C’est pour cela que cette mouvance fut qualifiée de peinture d’idées.

A cette époque Emile Bernard est proche de Gauguin, Toulouse Lautrec, Van Gogh. Sa personne devient bientôt indissociable du groupe de Pont-Aven qui incarne un cheminement stylistique conséquent quant à l’émergence du synthétisme. De magnifiques échanges entre Emile Bernard et Gauguin donnent naissance à des œuvres culottées et avant-gardistes, mais la paternité du synthétisme sera finalement attribuée à Gauguin, ce que son ami et condisciple n’acceptera jamais.

En 1893 Emile Bernard quitte la France et entreprend des voyages en Espagne et en Italie, avant de poser ses valises au Caire. C’est une révélation : il admire le travail des grands peintres de la Renaissance et décide de se tourner vers le classicisme des maîtres anciens devant lesquels il s’émerveille. Il aura même l’occasion de peindre dans des églises des fresques religieuses aujourd’hui détruites.

Le peintre a la particularité de s’immiscer et voyager de part et d’autre de maintes expressions picturales, sans pour autant les imiter. Il a toujours été opposé au précepte académique qui consistait à copier les maîtres. Il préconisait plutôt d’observer et d’explorer leurs œuvres, afin d’en être imprégné. Puis de créer par soi-même tout en ayant absorbé, sans les reproduire, toutes les subtilités picturales considérées avec enthousiasme.

Lors de son installation au Caire, où il resta près de dix ans, Emile Bernard va se soumettre à une intense réflexion sur les illustres virtuoses de la Renaissance, afin de capter et retranscrire une beauté idéale, inscrite dans une harmonie et une vision picturale classique. A cette époque l’étendue de sa gamme chromatique diminue en faveur d’une accentuation des différents degrés de luminosité. L’attrait du clair-obscur influence son travail sur la lumière. Il désire s’inscrire dans un paysage à l’ambiance plus poétique.

C’est en 1904 qu’Emile Bernard revient en France. L’avant-garde dont il fut un fervent défenseur est bien éloignée de ses nouvelles convictions. A contre-courant de cet art moderne qui bouleverse ce début de siècle foisonnant, il préfère se tourner vers le passé, vers un certain conservatisme et un classicisme assumé.

Emile Bernard fut aussi un grand penseur et critique d’art. Dès les années 80 il côtoya de nombreux artistes et écrivains, fit partie de différents cercles en vogue, et entretint des correspondances avec moult d’entre eux. Comme avec Cézanne, dont les qualités picturales l’enthousiasmaient, et à qui il rendra visite à Aix-en-Provence lors de son retour d’Egypte. Ce qui ne l’empêchera pas d’écrire en 1926 « L’erreur de Cézanne ». Car Emile Bernard théorisa longuement à l’encontre des peintres modernes et entretint maintes controverses avec ses contemporains.

L’itinéraire de cet homme aux multiples facettes, car il fut aussi graveur, illustrateur d’œuvres littéraires et poète, est pour le moins déroutant. Il s’est évertué à sonder son propre idéal esthétique, d’abord en s’éloignant de ce naturalisme qu’il critiquait ardemment, ce qui l’amena à devenir l’un des précurseurs du synthétisme. Puis il finit par dédaigner les avant-gardes pour s’extraire d’une modernité qui ne lui correspondait plus.

Emile Bernard est souvent qualifié de « classique parmi les modernes ». L’exposition du musée de l’Orangerie retrace parfaitement ce parcours insolite dans lequel nous saisissons l’évolution spirituelle et stylistique de ce créateur et analyste. Il fut en quête d’une certaine harmonie esthétique, et donna un nouvel éclairage de sa vision du nu classique afin de créer la beauté idéale. Les bouleversements du modernisme devinrent pour lui une dégénérescence artistique.

En découvrant la peinture d’Emile Bernard, nous percevons le fruit d’une réflexion personnelle obstinée, en perpétuelle évolution. A chacun sa liberté d’affectionner plus particulièrement certaines phases de son travail. Nous fûmes personnellement plus touchés par sa créativité avant-gardiste. A vous de découvrir les recherches esthétiques de cet artiste déconcertant et de voir si la séduction est au rendez-vous…

«Emile Bernard 1868-1941» Musée de l’Orangerie, Paris Ier, jusqu’au 5 janvier 2015.

WILLIAM EGGLESTON « From Black And White To Color » - Fondation Henri Cartier-Bresson

La Fondation Henri Cartier-Bresson nous accueille jusqu’au 21 décembre pour parcourir une exposition consacrée non pas à l’immense parcours du photographe américain William Eggleston, mais à une partie de sa vie qui fut le moment clé de son évolution artistique : le passage du Noir et Blanc à la couleur.

W. Eggleston est né à Memphis (Tennessee) en 1939. Issu d’une famille aisée (propriétaire d’une plantation de coton) le jeune homme étudie l’art à l’université et y découvre le travail d’Henri Cartier-Bresson. La photographie devient à ses yeux un art fascinant dont les valeurs esthétiques le chamboulent. Nous sommes à la fin des années 50. L’américain fait déjà de la photo mais enthousiasmé par la liberté du photographe français, qui sut si bien saisir l’ « instant décisif » au sein de compositions épatantes, W. Eggleston a trouvé à quelle expression artistique se vouer : « Quelqu’un m’a montré un exemplaire du livre d’Henri Cartier-Bresson, « The decisive moment », et il a changé ma vie et ma façon de photographier. »

A l’opposé d’H. Cartier-Bresson il n’aime pas beaucoup voyager. Il apprécie la vie qu’il mène dans ce sud des Etats-Unis qui l’inspirera tout au long de sa vie. Le photographe américain n’est donc pas dans le mimétisme de son aîné. Cependant il s’abreuve de cet électron libre qui le fascine.

W. Eggleston photographie d’abord en Noir et Blanc mais ses images préfigurent déjà d’un style bien spécifique, aux cadrages insolites. Elles ont un grain particulier et leurs compositions annoncent déjà cette volonté de l’artiste de bousculer les codes, d’utiliser des points de vue atypiques. A cette époque l’usage de la couleur en photographie est l’apanage des publicitaires, parce qu’estimé comme indélicat, ordinaire. W. Eggleston décide de passer outre et s’engage avec fougue dès le milieu des années 60 dans cet univers chromatique que tant d’autres dénigrent. Il photographie pendant quelques années en Noir et Blanc et en couleurs avant de complètement délaisser l’un au profit de l’autre. Il s’approprie une palette chromatique vivifiante pour sublimer l’ordinaire, l’anodin, et crée ainsi une nouvelle expression visuelle. Il s’attache particulièrement à l’environnement quotidien ancré dans son Sud américain natal, avec une perspective originale de détails apparemment prosaïques, dépourvus de noblesse, et sur lesquels il pose un regard envoûtant et bigarré. Son attention s’arrête sur des enseignes, des objets sans intérêt (ampoules, lavabo, charriots de centre commercial, bouteilles…), des fragments de voitures ou de personnes… De surcroît il opte pour des points de vue déconcertants, en se positionnant par exemple à même le sol pour photographier un animal à l’échelle de son regard ; ou encore en se mettant à la place d’une mouche attirée par l’ampoule du plafond… Il est d’ailleurs captivé par les lumières brutes et violentes des néons ou des ampoules dépouillées du moindre ornement.

Quant aux lieux qui le fascinent, ils nous semblent plutôt inoccupés, l’existence des êtres étant souvent occultée par un objet ou abordée de manière parcellaire : « Les objets dans les photos sont naturellement pleins de la présence de l’homme » expliquait-il.

Nous pouvons déceler cette empreinte humaine dans les images d’Eggleston. Par contre il est difficile de discerner où elles ont été prises : l’artiste légende peu ses œuvres et reste approximatif sur leur datation. Mais ce qui fait avant tout la spécificité de ce photographe de renom, c’est sa particularité tonale empreinte de couleurs exacerbées, vivifiées. Le chatoiement chromatique est dû au choix d’une technique de tirage que W. Eggleston a adopté très vite, le Dye Transfer, pour illuminer et rehausser ses couleurs de prédilection (les verts, les orange, les rouges, le rose…). Ce procédé complexe très onéreux n’était exploité que par les photographes de mode et de publicité. Ce fameux tirage trichrome (Kodak) qui saturait les couleurs fut, à partir de 1972, un procédé technique indispensable à cet artiste et coloriste hors pair. L’intensité et l’acuité des teintes et de la lumière, l’originalité des cadrages et de ses perspectives décalées, le choix de sujets à la fois ordinaires et atypiques, aux points de vue insolites, lui permettront d’accéder à une certaine reconnaissance.

De 1966 à 1974, il entreprit un long périple au Sud des Etats-Unis avec son ami Walter Hopps (commissaire d’exposition) pour réaliser « Los Alamos », une immense production photographique issue d’un voyage en voiture au sein de cette Amérique reculée, où les images pénétrantes d’Eggleston sont incisives et décapantes.

C’est par l’entremise de John Szarkowski, alors directeur du département de photographie du Museum of Modern Art (MoMA), qu’en 1976 eut lieu la première grande exposition consacrée à l’artiste : « Color Photographs by William Eggleston ». Même si elle attira l’indignation de maints critiques, elle permit à ce faiseur d’images de sortir de l’ombre et d’être à l’origine de la première exhibition substantielle et conséquente de photographie couleur.

W. Eggleston est maintenant considéré comme étant à l’origine d’un vaste tournant de l’histoire de la photographie, grâce à la contemporanéité de sa mise en images, habitée de teintes exceptionnelles.

La fondation Henri Cartier-Bresson nous plonge au sein de ce passage artistique, où l’évolution créative du photographe fuse à travers une vision moderne et originale de cette Amérique profonde à laquelle il fut si fidèle.

William Eggleston From black and white to color jusqu'au 21 décembre 2014, Fondation Henri-Cartier-Bresson 2, impasse Lebouis 75014, Paris.

PASCAL MAITRE, Afrique(s) - Maison Européenne De La Photographie (MEP)

Il y a maintenant plus de 35 ans que le photographe français Pascal Maitre sillonne le monde et rapporte des images exceptionnelles narrant des tranches de vie et des évènements avec une humanité et une bienveillance bouleversantes. La MEP a choisi de mettre en exergue des photographies issues des multiples photoreportages effectués par Pascal Maitre en Afrique. Le reporter, qui a arpenté le continent africain au travers d’une quarantaine de pays, a ramené tout au long de ces années des images qui ont été publiées dans de prestigieux magazine (Géo, L’express, National Geographic…)

Cette belle exposition révèle la pluralité de cette vaste Afrique grâce aux clichés extraits d’expéditions accomplies dans 13 pays : Somalie, Madagascar, Tchad, RDCongo, Burkina Faso, Erythrée, Sierra Leone, Niger, Soudan, Sao Tomé, Mali, Cameroun et Rwanda. Toutes ces images sont le témoignage émouvant mais aussi perturbant du quotidien de ces peuples courageux dont l’énergie et les combats forcent le respect. Mais c’est aussi la splendeur et la majesté de paysages inouïs, ainsi que l’inventivité et le souffle des populations africaines que P. Maitre veut dévoiler : « L’Afrique c ‘est un mélange de beaucoup d’éléments, la nature, les traditions, l’environnement, les hommes, les religions, l’activité, la guerre, la beauté, la force, le désespoir, c’est la vie ! »

Le photojournaliste nous expose toute cette complexité et ce mélange qui font la richesse de ce fabuleux continent. Il conte des histoires au travers de ses photographies : celles-ci manifestent ses sentiments et incarnent un regard expressif sur des sujets qui nous interpellent. Et P. Maitre renforce son questionnement en légendant ses photos avec précision. Il lui est nécessaire d’expliciter d’où sont issues ses images et ce qu’elles signifient, avec cette « envie de raconter des histoires humaines ». Ses informations sont précises, puissantes. Il ne se limite pas à montrer une image : il porte en lui le besoin d’expliquer ce qu’il a vu, ce qu’il a ressenti, lui qui dispose d’un temps précieux pour rester longuement aux mêmes endroits.

Au fil des années son travail de photojournaliste lui a octroyé cette chance d’entretenir des liens de confiance avec de nombreuses personnes vivant et travaillant sur ces terres africaines. Beaucoup de territoires sont dangereux et difficilement accessibles. Il est indispensable de passer par des médiateurs locaux, qu’il nomme les « fixeurs » et à qui il rend hommage, pour acquérir de précieuses liaisons et les consentements nécessaires afin d’accéder au cœur de cette Afrique qui le bouleverse tant. C’est ainsi qu’il pénètre dans ce qu’il y a de plus profond et d’intime, afin d’en extraire des moments bercés par le mystère, l’angoisse, l’horreur, la misère, ou encore la grâce, la magnificence ou l’envoûtement : « J’ai toujours eu l’habitude de beaucoup parler avec les gens, de m’intéresser à eux. Lorsqu’on adopte naturellement cette démarche, les gens s’habituent assez rapidement à vous et vous laissent travailler. Ils oublient l’appareil photo. Et plus les situations sont cruelles plus ils ont besoin de témoigner de ce qui arrive, de crier. »

Pascal Maitre nous livre ces fragments de vie sans détourner les yeux, en faisant frémir l’intensité des couleurs de l’Afrique. La nature et son étendue de verts chatoyants à Madagascar, la chambre rose abritant une scène déconcertante en Somalie, les marchés bigarrés de Kinshasa, les éclairages avivés de la vie nocturne, un châle aux couleurs enchanteresses qui voile un enfant mort,… la puissance des couleurs attise notre regard. Elles sont à la fois éclatantes et cinglantes, et nous foudroient souvent par leur violence et par leur beauté : la vie et la mort s’y côtoient. « La couleur –dit P. Maitre- c’est pour moi un choix évident, je vois en couleur, la couleur m’émeut et me touche. »

Le photographe confie être subjugué par des peintres comme Gauguin, Matisse ou encore Van Gogh, mais aussi par de grands photographes, dont William Albert Allard, Ernst Haas ou bien Alex Webb… La couleur est au centre de son travail et sa rigueur technique, tant au niveau de la lumière que de la composition, en font un artiste singulier. Les nuances chromatiques sont harmonieuses, les cadrages admirablement maîtrisés.

Les clichés sont exposés dans des dimensions allant du 40 x 60 à des formats très impressionnants, les photos étant issues ou de l’argentique ou du numérique. Pascal Maitre fut un fervent utilisateur du film Kodachrome 200, et ce jusqu’à sa disparition en 2010. Les coloris intenses, saturés et contrastés, ainsi que la finesse du grain, en étaient les spécificités.

Auteur de ces multiples photoreportages effectués pour de brillantes revues internationales, il a de surcroit publié cinq livres (« Mon Afrique » en 2000, « Incroyable Afrique » en 2012, « Madagascar, voyage dans un monde à part » en 2001…).

Son travail, aussi passionné que passionnant, célèbre les êtres et les valeurs humaines par le biais d’un art qui, entremêlé à l’engouement journalistique, exalte la dignité de l’homme et sonde nos propres émotions.

EXPOSITION - 10.09.2014 - 02.11.2014 - MAISON EUROPÉENNE DE LA PHOTOGRAPHIE

LES IMPRESSIONNISTES EN PRIVE,CENT CHEFS-D’ŒUVRE DE COLLECTIONS PARTICULIERES au Musée Marmottan Monet

Le Musée Marmottan Monet, ancienne résidence d’un grand amateur d’art du nom de Paul Marmottan, ouvrit ses portes en 1934. Il célèbre cette année ses 80 ans d’existence en rendant hommage à la bienveillance des collectionneurs et familles d’artistes qui ont fait don de précieuses œuvres, afin que ce lieu unique devienne le conservateur de productions artistiques exceptionnelles de Claude Monet, mais aussi de Berthe Morisot.

Pour témoigner de sa reconnaissance envers tous ces donateurs, il présente aujourd’hui au public une centaine d’œuvres impressionnistes prêtées pour l’occasion par une cinquantaine de collectionneurs, établis essentiellement en Amérique et en Europe. Une grande partie de ces tableaux n’ont jamais été exposés et c’est bien là une occasion exceptionnelle de les découvrir avant qu’ils ne retournent dans leur résidence privée. L’exposition se déroule chronologiquement afin de souligner la manière dont chaque artiste peintre a évolué, innové.

C’est aux origines de l’impressionnisme que l’exposition consacre ses premières salles, avec des œuvres de Corot, Boudin ou encore Jongkind. Les différentes explorations et études sur la lumière, ainsi que leur recherche sur la manière de capter les paysages et les motifs happés sur le vif, devancent la future démarche des peintres impressionnistes. Ces précurseurs enseigneront d’ailleurs leur art à certains artistes du groupe, dont le mouvement sera mené avec bravoure par Edouard Manet, avec ses toiles jugées choquantes (« Le déjeuner sur l’herbe » sera rejeté par le jury du Salon de 1863 et « Olympia » provoquera un scandale en 1865), et dont nous découvrons ici « Un bar aux Folies Bergère » (1881). Il aurait été impossible d’aborder le mouvement impressionniste sans évoquer la hardiesse de cet homme défiant l’académisme de l’époque avec une modernité que d’autres suivront avec panache.

C’est aux alentours de 1874 que ce mouvement en rébellion fait irruption, avec des artistes du nom de Monet, Pissarro, Renoir, Degas, Sisley, Morisot, Cézanne, ou encore Guillaumin. La toile de Monet, « Impression, soleil levant » (qui fait partie de la collection permanente du Musée Marmottan), donnera son nom à cet élan artistique et esthétique inspiré et révolutionnaire. La collection privée nous dévoile ainsi de nombreuses œuvres de ces illustres peintres qui mirent sur la toile toute la sensibilité ressentie devant les motifs et paysages qu’ils brossaient, en extérieur, sous une sensation de lumière d’une vive acuité, au moment précis où ils éprouvaient ces émois fugitifs. Ces tableaux et dessins complètent ainsi tous ceux qui font partie de nos mémoires, grâce aux collections présentes dans les musées du monde entier.

Le parcours de l’exposition s’attache ensuite à l’impressionnisme des années 1880 et 1890. Même si tous ces artistes se sentent à jamais unis, ils poursuivent chacun de leur côté une trajectoire plus personnelle en développant des spécificités picturales distinctes. L’imaginaire de chaque artiste, étoffé par de singulières inspirations esthétiques, les distingue et met en apparence leur génie créatif. Le groupe s’est certes dispersé mais l’épanouissement de ces virtuoses a créé les grands maîtres que nous connaissons. Ils sont là encore représentés par des toiles et dessins inédits ou rarement exposés, de Pissarro et Sisley, de Renoir et Monet, de Degas et Caillebotte…

Après avoir bouleversé les conventions, révolutionné la dimension très académique des Beaux-Arts, et engagé une lutte vers une liberté artistique novatrice, les peintres impressionnistes ont fini par obtenir une certaine légitimité. Le soutien de collectionneurs privés et de certains marchands d’art leur a permis de vendre de plus en plus de toiles, d’abord en France, puis au niveau international. Dans les années 1890, la reconnaissance fut enfin au rendez-vous. Et certaines œuvres de cette période nous ouvrent déjà vers de nouvelles recherches artistiques. L’art moderne commence à poindpar pre etites touches. Mais cela c’est une autre histoire.

Du 13 février au 6 juillet 2014 au Musée Marmottan Monet

11 mars - 6 juillet 2014 - Musée d'Orsay - Exposition temporaire

VAN GOGH / ARTAUD. LE SUICIDE DE LA SOCIETE au Musée d’Orsay

Le musée d’Orsay nous offre une exposition rare sur le peintre néerlandais Vincent Van Gogh, traversée par les mots et le regard du poète Antonin Artaud. Le spectre de la folie s’immisce au sein de cette rencontre spirituelle de deux artistes galvanisés par une extrême sensibilité. La fragilité psychologique et physiologique de ces deux êtres se reflète avec virulence dans leur art respectif. C’est ce qui a bouleversé Antonin Artaud lorsqu’il a visité l’exposition Van Gogh de 1947 au musée de l’Orangerie, alors qu’il vient de sortir d’un internement de neuf années en hôpital psychiatrique, où il a subi de nombreux électrochocs. Cette rencontre picturale lui insuffle un texte démentiel qu’il dictera en peu de jours à son amie Paule Thèvenin : « Le suicidé de la société ».

L’exaltation de cet écrit, à la verve lyrique, fait jaillir un impétueux plaidoyer accusant la société d’avoir anéanti et broyé ce prodige qu’était Van Gogh. A son sens, elle redoutait les âmes affranchies, dont la fascinante clairvoyance embarrassait le sens moral commun. De fait Artaud incrimine les psychiatres qui annihilent ces personnalités fulgurantes jusqu’à les pousser au suicide : « C’est ainsi qu’une société tarée a inventé la psychiatrie pour se défendre des investigations de certaines lucidités supérieures dont les facultés de divination la gênaient. »

L’écrivain s’inspire aussi, bien évidemment, des épreuves qu’il a lui même subies lors de ses internements. Sa parole est acerbe, corrosive, incisive : elle brûle, vitupère, tempête et explose comme un hurlement d’affliction et de détresse mêlé d’une aversion profonde et belliqueuse envers cette société qui nie la différence et la nature singulière de certains êtres.

L’exposition du musée d’Orsay fait l’union entre cet ouvrage d’Antonin Artaud (1896 – 1948) et les magistrales toiles de Vincent Van Gogh (1853 – 1890) qui l’ont inspiré. Nous avons la chance de pouvoir admirer plus d’une quarantaine de tableaux et quelques uns des dessins du peintre hollandais, accompagnés de citations révélatrices et symptomatiques de la vision du poète. Dès la première salle, nous entrons dans une atmosphère énigmatique où s’entrechoquent des percussions et glossolalies sibyllines, et des mots cabalistiques d’Artaud. S’ensuivent les œuvres impressionnantes de Van Gogh, dont le maniement très personnel de la couleur et l’ardeur de la touche brusque et pure annoncent le fauvisme, et plus intensément l’expressionnisme : « Il faut commencer par éprouver ce qu’on veut exprimer », disait le peintre. Après avoir tenté de devenir pasteur, Vincent Van Gogh s’est jeté corps et âme dans l’art pictural, aux alentours de 27 ans. Il n’a peint qu’une dizaine d’années, pendant lesquelles il lutta contre l’isolement, l’angoisse et le désarroi. Au fil de ses recherches les nuances de sa gamme chromatique se sont faites de plus en plus intenses. La vivacité des couleurs et l’intensité de la lumière enivrèrent ses toiles avec une frénésie époustouflante.

L’artiste peintre a lui aussi beaucoup utilisé les mots. La correspondance qu’il entretint avec son frère Théo en témoigne. Certains extraits sont d’ailleurs exposés. Il oscillait régulièrement entre des crises de profonde détresse et des périodes fougueuses, d’allégresse intense, où il peignait avec entrain. Les deux derniers mois de sa vie, de mai à juillet 1890, il aurait réalisé pas moins de 70 toiles. Mais c’est en incompris qu’il mourra. Peu de personnes ont reconnu son talent de son vivant et la postérité sera tardive.

Chacune des salles de l’exposition est habitée d’une phrase symbolique du poète, le long d’un parcours thématique enchaînant l’autoportrait, les natures mortes, les paysages, les couleurs… Les deux artistes se répondent par l’intermédiaire de leur art ; leurs émotions et leurs souffrances transparaissent, au gré de toiles datant des dernières années de vie de Van Gogh (période où il sera interné plusieurs fois entre 1888 et 1890), peintes essentiellement à Paris, Arles, Saint-Rémy-de-Provence et Auvers-sur-Oise. La présence de dessins réalisés par Antonin Artaud vient renforcer cette résonnance. Lorsque nous déambulons de salle en salle, nous discernons l’évolution de Van Gogh dans la façon d’appréhender sa toile, sa patte, sa perception de la lumière et de la couleur. Ses sensations et son propre vécu, son âme même, illuminent ces tableaux exceptionnellement réunis pour un tête-à-tête spirituel unique entre deux écorchés vifs. Seule une œuvre primordiale n’a pu quitter Amsterdam (en raison de sa fragilité) : « Le champ de blé aux corbeaux », peint dans les derniers moments de vie de Van Gogh. Ce tableau suscita chez le poète un intérêt particulier : il pensait y percevoir un mauvais présage, comme un aveu du peintre sur sa mort prochaine. Le musée a donc décidé de projeter cette toile sur grand écran, mais en accroissant les détails, de manière à ce que notre œil observe à la loupe le travail du peintre. Et cela, avec en fond sonore des phrases d’Artaud déclamées par Alain Cuny. Les mots y orchestrent la magnifique composition picturale de Van Gogh.

Un autre écran projette des extraits de films dans lesquels Antonin Artaud a joué. Ses mouvements, ses expressions et son regard puissant nous interpellent (il ne faut pas oublier qu’il est aussi l’auteur du « Théâtre et son double « ). Il en est de même de ses dessins qui procurent une acuité visuelle extrême. Y transparaissent le tourment et la douleur de cet homme torturé, en proie avec ses démons. « Je suis aussi comme le pauvre Van Gogh, au plus près de formidables ébullitions internes », écrivait-il. Ce bouillonnement et cette effervescence, nous les percevons fougueusement dans les oeuvres du peintre, dans ses compositions aussi hallucinées qu’hallucinantes, où l’on voit chaque touche ondoyer et serpenter vers une parfaite harmonie, dans un agencement chromatique éblouissant. Il est troublant d’y percevoir les émotions de l’artiste. La puissance de son art nous bouleverse : il y évoque sa fragilité, sa sensibilité, mais aussi son énergie et son courage.

Nous laissons à Antonin Artaud le soin de conclure en évoquant toute son admiration pour le travail de ce grand artiste : « (…) je dirai que Van Gogh est peintre parce qu’il a recollecté la nature, qui l’a comme retranspirée et fait suer, qu’il a fait gicler en faisceaux sur ses toiles, en gerbes comme monumentales de couleurs, le séculaire concassement d’éléments, l’épouvantable pression élémentaire d’apostrophes, de stries, de virgules, de barres dont on ne peut plus croire après lui que les aspects naturels ne soient faits. »

11 mars - 6 juillet 2014 - Musée d'Orsay - Exposition temporaire

HENRI CARTIER-BRESSON au Centre Pompidou

« De tous les moyens d’expression, la photographie est le seul qui fixe un instant précis. Nous jouons avec des choses qui disparaissent, et, quand elles ont disparu, il est impossible de les faire revivre. »

Disparu depuis dix ans, le photographe Henri Cartier-Bresson est mis à l’honneur à l’occasion d’une très belle exposition au Centre Pompidou. Cette rétrospective, que vous pourrez contempler du 12 février au 9 juin, nous permet de découvrir près de 500 œuvres regroupant en sus des photographies, de nombreux documents tels que des dessins, des peintures ou encore des films. Ce sont les tirages originaux qui nous sont présentés, excepté une photo jugée trop abîmée et dont le retirage fut nécessaire. Cela selon un parcours chronologique relatant plus de 40 années d’une vie riche et mouvementée, nous faisant ainsi découvrir les différentes inspirations qui ont marqué l’artiste au travers des multiples rencontres et voyages de sa vie.

Les clichés qui ont fait sa renommée croisent bien d’autres images méconnues qui viennent enrichir la pluralité de son travail, autant que la singularité de sa démarche photographique.

Henri Cartier-Bresson, né en 1908, était issu d’une famille d’artistes. La peinture fit très tôt partie de sa vie et dès la fin des années 20 il travailla cet art dans l’atelier parisien d’André Lhote. Le peintre cubiste lui enseigna la rigueur géométrique, ce qui eut un impact considérable sur son sens de la composition. Son œil aiguisé structurera à la perfection ses photographies dont il refusera toujours le moindre recadrage.

Dans cette même période il côtoie les surréalistes et effectue quelques collages. Mais c’est lors d’un voyage en Afrique, en 1930, qu’il emporte un appareil photo (un Krauss) et qu’il révèle ses premiers témoignages photographiques. Il devient un spectateur du monde, offrant au regard les fracas des évènements et de l’histoire, tout en privilégiant l’humain.

A cette époque il se sent proche du Parti Communiste et s’engage politiquement. Il travaille alors pour la presse communiste, comme le magazine Regards, et participe au tournage de trois films de Jean Renoir. Il devient son assistant en 1936 pour « La vie est à nous » et « Une partie de campagne », ainsi qu’en 1939 pour « La règle du jeu ». La guerre éclate : il reste prisonnier en Allemagne pendant près de trois ans avant de s’évader en 1943. L’année suivante il est derrière son appareil photo pour ramener les images des ruines d’Oradour-sur-Glane après l’abominable massacre commis par l’armée allemande. S’ensuivent des photographies de la libération de Paris avant de repartir en Allemagne, avec les alliés, au camp de Dessau. Il y filme et photographie les camps de prisonniers.

Inlassablement Henri Cartier-Bresson va alors sillonner le globe et retranscrire moult épisodes sociétaux, historiques et politiques du 20ème siècle et les fixer à jamais, autant sur la pellicule que dans nos mémoires. Il devient ainsi un immense photoreporter au sein de l’agence qu’il a créée en 1947 avec ses complices Chim (David Seymour), Robert Capa et George Rodger : Magnum Photos. Depuis la création de cette coopérative qui unit les talents de grands photographes, il traverse la planète et témoigne des derniers instants de Gandhi, du chaos au Kuomintang, de la guerre civile espagnole, de l’indépendance de l’Indonésie,… Il est même le premier photographe occidental à obtenir un visa pour l’URSS après la disparition de Staline en 1954. La plupart de ses reportages sont issus de commandes que l’Agence revend à des magazines, tel que « Life ».

Henri Cartier-Bresson aime profondément le noir et blanc, et n’a fait que peu de photographies en couleurs, parce qu’il les abhorre. Lorsque l’on observe ses clichés, on se rend compte qu’il privilégie les individus, en ce sens qu’il immortalise les réactions des gens face à l’événement auquel ils assistent. Ce sont leurs regards et l’immédiateté de leurs attitudes qui intéressent le photographe. Le fait majeur est souvent hors-champ, mais il se reflète sur l’image des spectateurs qui y assistent ou qui le subissent. « La photographie doit saisir dans le mouvement l’équilibre expressif », disait-il.

Mais il fut un moment, à la fin des années 60, où il s’éloigna du photojournalisme pour se diriger vers une image photographique plus adoucie, plus méditative. Il fixa alors son attention sur les paysages et les portraits. Puis, au début des années 70, il laissa de côté son appareil photo pour se dévouer entièrement à ses premiers émois artistiques : le dessin. Il y consacra quotidiennement de nombreuses heures. Nous pouvons en admirer quelques esquisses, comme les autoportraits, ou encore les squelettes d’animaux préhistoriques du Musée d’Histoire Naturelle.

Cet étonnant voyage artistique, où nous déambulons avec plaisir et curiosité, témoigne de l’incroyable parcours de vie d’un homme aux multiples facettes, qui sut s’exprimer visuellement avec virtuosité. Nous lui laissons les mots de la fin :

« La photographie est pour moi la reconnaissance dans la réalité d’un rythme de surfaces, de lignes ou de valeurs ; l’œil découpe le sujet et l’appareil n’a qu’à faire son travail, qui est d’imprimer sur la pellicule la décision de l’œil. Une photo se voit dans sa totalité, en une seule fois, comme un tableau ; la composition y est une coalition simultanée, la coordination organique d’éléments visuels. »

Rétrospective Henri Cartier-Bresson au Centre Pompidou, du 12 Février au 9 Juin 2014, au Centre Pompidou.

Raymond Depardon : Un Moment Si Doux

La célébration de la couleur dans l’œuvre atypique du photographe Raymond Depardon ornemente pour notre plus grand plaisir les salles du Grand Palais. Le musée, avec l’aide de cet artiste discret et talentueux, dévoile près de 160 photographies révélant ainsi des images dont la fugacité et l’émotion nous emportent avec délicatesse.

Cette promenade intimiste, depuis les premières prises de vues de la fin des années 50 jusqu’aux images les plus récentes effectuées pour cette exposition, nous embarque dans son univers contemplatif, ces moments si doux que Raymond Depardon affectionne tendrement, où il savoure ce « plaisir de la couleur » qu’il a mis du temps à révéler : ce n’est qu’au début des années 80 qu’il s’est senti plus libre avec la couleur, même s’il l’utilisait déjà en sus de cette photographie noir et blanc qui fut bien longtemps un sacerdoce.

Cet artiste fut en premier lieu un photoreporter au service de nombreuses agences, avant de créer la sienne propre : Gamma. C’est ainsi qu’il voyagea à travers le monde et revint chargé d’images et d’émotions qu’il mit au service de cet art photographique auquel il est passionnément lié.

Vous aurez la chance d’observer les clichés provenant du Chili, de Beyrouth, de Glasgow…  et vous découvrirez que Raymond Depardon avait l’art de capter ce qui se passait en marge des combats ; des temps morts qui en disaient long sur le conflit lui-même en montrant la population dans son quotidien, malgré les balles et les bombes. Cela aussi c’est la mémoire d’un pays. Cette mémoire il nous la transmet également grâce à ses photographies des vastes espaces, allant des campagnes les plus profondes aux déserts africains, ou encore dans sa réflexion sur l’isolement au milieu même des cités urbaines. Ces dernières années il a même réutilisé le Rolleiflex de ses débuts, cet appareil au format pour le moins original, où l’on doit incliner la tête pour cadrer l’image et prendre le temps pour la mise au point.

Mais il est évident que cette errance, qu’elle soit en Afrique ou en Amérique du Sud, est le fruit d’un témoignage bouleversant sur la simplicité et la sincérité de l’individu, ou encore sur un endroit inconnu, rendu lumineux et attachant grâce à cette pellicule argentique que Raymond Depardon aime utiliser.

S’arrêter là où personne ne s’arrête. Effleurer la grâce d’un monde où aucun événement important ne se passe. Être un simple spectateur de la vie, mais avec un œil subtil et pénétrant, de ces moments anodins et si doux, aux couleurs magnifiquement intenses.

Voilà le sentiment éprouvé durant cette douce et joyeuse balade.

Grand Palais du 14 novembre 2013 au 10 fevrier 2014

Raymond Depardon : Un Moment Si Doux

La célébration de la couleur dans l’œuvre atypique du photographe Raymond Depardon ornemente pour notre plus grand plaisir les salles du Grand Palais. Le musée, avec l’aide de cet artiste discret et talentueux, dévoile près de 160 photographies révélant ainsi des images dont la fugacité et l’émotion nous emportent avec délicatesse.

Cette promenade intimiste, depuis les premières prises de vues de la fin des années 50 jusqu’aux images les plus récentes effectuées pour cette exposition, nous embarque dans son univers contemplatif, ces moments si doux que Raymond Depardon affectionne tendrement, où il savoure ce « plaisir de la couleur » qu’il a mis du temps à révéler : ce n’est qu’au début des années 80 qu’il s’est senti plus libre avec la couleur, même s’il l’utilisait déjà en sus de cette photographie noir et blanc qui fut bien longtemps un sacerdoce.

Cet artiste fut en premier lieu un photoreporter au service de nombreuses agences, avant de créer la sienne propre : Gamma. C’est ainsi qu’il voyagea à travers le monde et revint chargé d’images et d’émotions qu’il mit au service de cet art photographique auquel il est passionnément lié.

Vous aurez la chance d’observer les clichés provenant du Chili, de Beyrouth, de Glasgow…  et vous découvrirez que Raymond Depardon avait l’art de capter ce qui se passait en marge des combats ; des temps morts qui en disaient long sur le conflit lui-même en montrant la population dans son quotidien, malgré les balles et les bombes. Cela aussi c’est la mémoire d’un pays. Cette mémoire il nous la transmet également grâce à ses photographies des vastes espaces, allant des campagnes les plus profondes aux déserts africains, ou encore dans sa réflexion sur l’isolement au milieu même des cités urbaines. Ces dernières années il a même réutilisé le Rolleiflex de ses débuts, cet appareil au format pour le moins original, où l’on doit incliner la tête pour cadrer l’image et prendre le temps pour la mise au point.

Mais il est évident que cette errance, qu’elle soit en Afrique ou en Amérique du Sud, est le fruit d’un témoignage bouleversant sur la simplicité et la sincérité de l’individu, ou encore sur un endroit inconnu, rendu lumineux et attachant grâce à cette pellicule argentique que Raymond Depardon aime utiliser.

S’arrêter là où personne ne s’arrête. Effleurer la grâce d’un monde où aucun événement important ne se passe. Être un simple spectateur de la vie, mais avec un œil subtil et pénétrant, de ces moments anodins et si doux, aux couleurs magnifiquement intenses.

Voilà le sentiment éprouvé durant cette douce et joyeuse balade.

Grand Palais du 14 novembre 2013 au 10 fevrier 2014